Nicolas Mattenberger, député socialiste et avocat dans le canton de
Vaud, et sa consoeur parisienne Isabelle Coutant-Peyre préparent une
plainte pénale pour « homicide par négligence ». Ils demandent que l’on fasse toute la lumière sur la mort de Skander Vogt,
détenu dans le quartier de haute sécurité de la prison de Bochuz le 11
mars dernier. Ce décès est d’autant plus embarrassant pour
l’administration pénitentiaire que cet helvético-tunisien aurait dû être
libéré en… juin 2001.
En effet, Skander Vogt n’avait été condamné qu’à 20 mois de prison
pour des imbécilités d’adolescent : dommages à la propriété, injures,
menaces, vol, violences. Mais l’article 43 du Code pénal suisse permet
de priver le condamné du droit à la liberté, à l’expiration de la peine
prononcée, pour une durée illimitée, si « en raison de son état mental, le délinquant compromet gravement la sécurité publique ». Entré à 20 ans derrière les barreaux, il n’en est sorti dix ans plus tard que les pieds devants.
Skander Vogt
Victime de brimades répétées
« Depuis 2006, j’ai alerté la Cour européenne des droits de l’homme sur cette situation invraisemblable, totalement inhumaine »,
proteste Isabelle Coutant-Peyre, l’un des défenseurs de Skander Vogt.
En effet, depuis une décennie, l’homme était considéré par
l’administration pénitentiaire comme extrêmement dangereux. Il ne
sortait de sa cellule que pieds et poings enchaînés. Or, ce garçon,
rappeur passionné, se montrait au contraire gentil, joyeux, drôle,
curieux de tout, avec le réseau d’amis qu’il avait pu se constituer en
dehors de la prison. Ils étaient une cinquantaine d’entre eux à assister
à ses funérailles au cimetière de Montoie, à Lausanne, mardi dernier.
Que s’est-il passé ? En 2008, Skander Vogt souffre
des dents, mais la prison de Bochuz (canton de Vaud) lui refuse le
dentiste. Pour protester, le prisonnier grimpe sur le toit de la prison,
et y reste trente heures, soutenu par les autres détenus. Depuis, les
responsables de l’établissement lui vouent une haine sans bornes. Les
humiliations pleuvent. La semaine dernière, on lui confisque sa radio.
Furieux, Skander annonce « ce soir, ça va cramer », et il met le feu à son matelas. La fumée envahit la cellule.
Les gardiens n’interviennent pas
« Comment expliquer que les gardiens ne lui ont pas porté
secours ? On nous dit que Skander était considéré comme dangereux et
qu’ils avaient peur d’entrer dans sa cellule ! Ça ne tient pas la route », dénonce Nicolas Mattenberger.
Les gardiens vont donc le laisser s’asphyxier pendant une heure et
demie, entre 1 heure et deux heures 30 du matin, attendant les renforts
des troupes d’élite de la police vaudoise.
La mort est constatée à trois heures.
De Tunis au Léman
Sanda, 34 ans, et Skander, 30 ans, ont perdu très tôt leur mère
tunisienne. Vivant à Tunis, ils sont recueillis par une tante. Leur
père, originaire de Bâle, en Suisse, perd le contact avec ses enfants.
Ces derniers arrivent sur les bords du lac Léman en 1993 et sont
recueillis par des familles d’accueil. Skander tombe alors dans la
petite délinquance.
Le directeur de la prison téléphone à Sanda Vogt, la sœur aînée de Skander, lui affirmant que son frère s’est suicidé.
Depuis, l’administration pénitentiaire a changé de version, prétendant
que le prisonnier empêchait les gardiens de lui porter secours,
proférant contre eux des menaces de mort. Déclaration aussitôt démentie
par le voisin de cellule de Skander. Habituellement, un incendie
provoque une grande animation dans une prison. Mais cette fois, les
gardes-chiourmes ne semblaient pas pressés d’intervenir, se contentant
de chuchoter.
Enfermé sans expertise psychiatrique
« Nous n’allons pas lâcher l’affaire, c’est trop grave. Ce
malheureux a été martyrisé pendant dix ans. Et il y en a d’autres dans
les prisons suisses. Comment peut-on priver un homme de sa liberté sous
prétexte qu’il serait dangereux ? Depuis des années nous réclamions une
expertise psychiatrique », dénonce Isabelle Coutant-Peyre.
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