samedi 23 février 2019

«Notre islam se base sur la connaissance de l’autre et la paix des religions»

Par Marie Destraz, le 17 avril 2018


© Réformés.ch


Nourredine Ferjani est l’imam de la mosquée du Petit-Saconnex à Genève. Malgré son engagement à plein-temps, il suit la nouvelle formation pour les imams de l’Université de Genève qu’il juge nécessaire.

Les yeux rivés sur le sol en marbre lustré, j’admire les rares rayons de soleil qui traversent la verrière et se reflètent sur le sol. J’explore du regard l’architecture faite d’alcôves soutenues par de hautes colonnes et l’espace d’un instant, je suis transportée en Orient. Je suis bien vite ramenée à la réalité par la femme qui m’accueille. «Vous êtes Suissesse?», demande-t-elle en m’invitant à prendre place sur une chaise.

Un homme pressé

Dans une poignée de minutes, il sera 11h et je retrouverai Nourredine Ferjani, imam de la mosquée du Petit-Saconnex à Genève, pour parler de la nouvelle formation pour les imams qui a ouvert ses portes à l’automne à l’Université du bout du lac. Mais pour l’heure, mon interlocuteur est occupé. J’attends donc dans un bureau contigu à la salle plongée dans la lumière. La pièce fait à peine 2m2. La paperasse éparse s’entasse dans les étagères qui occupent les murs. Sur le bureau, le téléphone ne cesse de sonner au milieu des piles de dossiers. La porte s’ouvre enfin. Un petit homme en costume en sort. A ma vue, il porte sa main à son front, l’air hébété. L’imam surbooké a oublié notre rendez-vous. Mais «Soyez la bienvenue. Je vous prie de m’excuser. Je suis en pleine préparation d’une présentation sur la Convention des droits de l’homme que je dois effectuer demain, dans le cadre de la formation pour laquelle vous venez m’entretenir», m’explique fébrilement Nourredine Ferjani. Il s’assied derrière son bureau, j’opte pour l’un des quatre fauteuils de cuir cerclant la table basse.
Devant lui, les papiers s’amoncellent. «J’ai suivi des études de droit, mais ça ne m’épargne pas de travailler cette présentation», lâche-t-il tout sourire. Nourredine Ferjani occupe le poste d’imam à la mosquée du Petit-Saconnex depuis un an. Ils étaient trois, mais depuis novembre dernier, il occupe seul la fonction. Quatre employés de la mosquée, dont deux imams, soupçonnés d’être des «fichés S» en France, ont été licenciés.
L’imam ne manque pas de travail et ne le cache pas. Aménager du temps pour se former en parallèle à un emploi à plein-temps dans la plus grande mosquée de Suisse, demande un peu d’organisation. 

Retour sur les bancs de l'uni

«Aujourd’hui, je fais l’impasse sur 80% des appels que je reçois. Je ne parviens pas à tout faire. Les nouveaux responsables de la Fondation culturelle islamique de Genève (FCIG) dont dépend la mosquée cherchent d’ailleurs des solutions.» Et pourtant, au semestre de printemps, Nourredine Ferjani a rejoint les bancs de l’Université de Genève pour suivre la nouvelle formation pour les imams. «Nous avons besoin de comprendre la réalité dans laquelle nous vivons. J’ai beau être en Suisse depuis vingt ans, je peux toujours en apprendre plus. Il est donc juste pour moi d’y participer.» Derrière son bureau, Nourredine Ferjani pousse sur le côté les feuillets de son exposé et s’installe confortablement contre le dossier en cuir de sa chaise.

Arrivé sur le territoire suisse en 1998, ce quinquagénaire d’origine tunisienne a passé son bac en Syrie et a obtenu sa licence en théologie islamique au Soudan, suivi d’une licence en arabe classique et en philosophie. En 2010, après un bachelor, il obtient, un master en droit à l’Université de Neuchâtel. Et pendant dix ans, il a été imam à La Chaux-de-Fonds et Neuchâtel, avant de postuler à la FCIG. «A l’université, nous explorons le droit, l’éthique, l’histoire suisse et genevoise et avons une réflexion générale sur les textes islamiques, détaille-t-il. Lire les textes que j’ai déjà étudiés, avec mes concitoyens, me permet notamment de voir comment l’autre les comprend et donc comment il va me comprendre. » C’est donc sans équivoque que l’imam, qui jongle avec des fidèles de septante nationalités différentes, estime que ce cursus est autant utile que nécessaire.

Un point de vue que partage le secrétaire saoudien de la Ligue islamique mondiale (LIM), organisation panislamique sunnite basée à La Mecque, dont dépend la FCIG. De passage à Genève en novembre dernier, le secrétaire a accordé une interview à La Tribune de Genève. Il y expliquait avoir visité le département chargé de la formation pour les imams de l’Université de Genève. Impressionné par le programme, il avouait que la LIM serait même prête à la subventionner. «La LIM manifeste ainsi une volonté d’ouverture, de compréhension de l’autre et des différentes religions pour œuvrer pour le bien de tous. Je crois à cette subvention», réagit l’imam. 

Interpréter les texte, lutter contre l'extrémisme

Une volonté qui s’exprime aussi, selon lui, avec le changement de direction de la FCIG, nommée par la LIM. «On veut lutter contre les extrémismes, et avoir une vision de l’islam basée sur la connaissance de l’autre et la paix des religions», continue-t-il. Accoudé à son bureau, il précise que ses propos sont les siens et qu’il ne s’exprime pas en tant que représentant de la Fondation.
Après la formation universitaire pour les imams, à quand une Faculté de théologie islamique, comme semble l’envisager d’autres responsables de communautés musulmanes de Suisse romande?

«C’est pour moi tout à fait envisageable. Reste en suspens la question des compétences de ceux qui y enseigneront et de la façon dont est envisagée la théologie enseignée. En islam, le message est unique, mais les interprétations sont différentes. Aussi, une même question reçoit des réponses qui diffèrent selon les cultures et la situation de la personne qui la pose. J’ai eu la chance d’étudier les différentes doctrines islamiques, dans un pays très ouvert. Ce n’est pas le cas partout.» Or en Suisse, l’islam est pluriel, et le risque d’un décalage est inévitable.
 
Mais ce que déplore Nourredine Ferjani, c’est la perte, chez les musulmans, de la «faculté d’Idjtihad. Cet effort d’interprétation des textes fondamentaux s’est perdu au fil des siècles. Alors même que le monde musulman était rempli de débat, aujourd’hui, on blâme la réflexion. On ne revient plus au texte, mais vers celui qui l’explique. Or cet effort s’impose pour vivre ensemble et éviter le repli communautaire.»

L’entretien touche à sa fin. Nourredine Ferjani s’excuse une dernière fois: «Je ne peux même pas vous inviter à partager ma table. Je dois encore terminer cette présentation et je vais devoir manger à mon bureau. Mais repassez me voir et nous dînerons ensemble.» En sortant de son bureau, je jette un dernier coup d’œil à la verrière. Le ciel s’est rempli de nuages.



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samedi 16 février 2019

L’avenir de la Tunisie passe par la décentralisation

Par Renat Kuenzi, swissinfo.ch, publié le 14 mai 2015


Forum de Tunis 2015




Spécialiste de la démocratie directe suisse, Andreas Gross a aussi une profonde connaissance de sa situation en Tunisie, où il s'est déjà rendu à de nombreuses reprises, notamment pour surveiller de déroulement des élections.
(Keystone)


 

La décentralisation est l’un des grands défis de la Tunisie issue de la révolution. Le pouvoir devrait être partagé avec les communes et les provinces. Mais pour le moment, «ces dernières ressemblent plutôt à des coquilles vides dont les structures doivent être remplies», estime Andreas Gross, expert suisse de la démocratie directe.

La décentralisation figure aussi parmi les thèmes proposés lors du Forum global sur la démocratie directe moderne, qui a lieu à Tunis du 14 au 17 mai. Andreas Gross y prendra la parole en ouverture de la manifestation. Interview.

swissinfo.ch: La Tunisie a de gros problèmes économiques et pour les gens, la situation est plutôt plus mauvaise qu’avant la révolution de 2010-2011. Le Forum global représente-t-il un signe d’espoir pour les citoyens?

Andreas Gross: Les Tunisiens semblent en tout cas le percevoir ainsi. Beaucoup se réjouissent des discussions, car ils sont convaincus que celles-ci vont continuer à les faire avancer. Par ailleurs, pour beaucoup de Tunisiens, chaque visiteur étranger – et une très grande partie des quelque 400 participants officiels au Forum le sont – représente un signe d’encouragement et de soutien. La révolution démocratique tunisienne est la seule qui ait connu le succès dans le monde arabe et elle mérite tout notre soutien.

swissinfo.ch: «La décentralisation par la participation» est à la fois le mot d’ordre de la constitution tunisienne et le titre de ce Forum. Quels sont les principaux problèmes pour parvenir à une plus grande autonomie des communes et des provinces?

A. G. : La structure extrêmement centralisée de l’Etat actuel et le manque d’expérience en matière d’auto administration au niveau local et régional. Bien qu’elle n’ait jamais été une colonie de la France, la Tunisie a repris le système centralisé et hiérarchisé de ce pays. Les différences entre les régions en matière de perspectives de vie sont énormes. Ces disparités économiques entre régions ont été une des causes de la révolution. Dans certaines parties du pays, il n’a jamais été possible de vivre dignement. Changer cela représente une tâche énorme, mais c’est justement ce à quoi s’attaquent le nouveau gouvernement et le nouveau parlement.
C’est là que peuvent aider des expériences en matière de démocratie directe et de fédéralisme, les deux se caractérisant par la répartition du pouvoir. La culture de la subsidiarité signifie: plus les problèmes sont résolus à un échelon proche des citoyens, meilleur est le résultat. Il est par conséquent nécessaire de poursuivre les réformes de la révolution, car l’élan révolutionnaire n’est pas encore émoussé et doit continuer à être utilisé.

swissinfo.ch: Il existe manifestement aussi des tendances contre-révolutionnaires.

A. G. : J’en ai entendu parler. Mais la Tunisie dispose d’une société civile très développée et bien organisée. Si le gouvernement ou le parlement œuvraient dans la mauvaise direction, les gens iraient tout de suite dans la rue et rappelleraient les autorités à l’ordre - ainsi qu’ils l’ont fait à quelques reprises au cours de ces quatre dernières années.

swissinfo.ch: Où la Tunisie en est-elle exactement dans ce processus de répartition du pouvoir? Existe-t-il déjà des communes et des régions où les citoyens peuvent participer aux décisions?

A. G. : Elles existent, mais elles ressemblent plutôt à des coquilles vides. Ces structures doivent donc être entièrement remplies. Souvent, ceux qui ont beaucoup de pouvoir ne sont pas prêts à le partager. Il faut donc la pression du peuple. Lors des prochaines élections régionales, il est important de n’élire que ceux qui portent l’idée révolutionnaire et qui font avancer la décentralisation.

swissinfo.ch: Yadh Ben Achour, président de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique a qualifié la modernisation de la société sous l’ère Bourguiba de fondement du succès de la révolution de Jasmin. Partagez-vous cette vision?

A. G. : Habib Bourguiba était certes aussi un dirigeant autoritaire. Mais en accordant l’égalité aux femmes en 1956, il allait bien plus loin que les Suisses de l’époque. Il a aussi instauré le libre accès à l’instruction. Cela a conduit à des organisations très fortes dans la société civile, qui sont l’une des raisons expliquant le succès de la révolution en Tunisie. Elles sont d’ailleurs aussi utiles dans le cadre du processus de décentralisation. 

swissinfo.ch: Beaucoup de postes importants au gouvernement et au parlement sont aux mains de politiciens assez âgés. Ceux-ci ont-ils vraiment la volonté de partager le pouvoir?

A. G. : La nature de votre question ne rend pas justice à ces gens. La révolution doit beaucoup à certains d’entre eux. Par exemple, c’est grâce à eux qu’il n’y a pas eu d’affrontements violents ou de revers importants. Le principal problème est la relation entre l’Etat et la religion. Le dictateur déchu interdisait ou marginalisait la religion. Maintenant, elle domine là où elle est à nouveau permise. Trouver le bon équilibre entre religion et Etat et un processus d’apprentissage de la société qui n’est possible que lorsqu’on est libre d’exprimer une critique.
Ces vieux messieurs étaient en partie déjà présents sous Bourguiba, mais ils se sont de plus en plus distanciés de Ben Ali au cours des 15 dernières années. Yadh Ben Achour fait aussi partie de ces gens. La commission révolutionnaire qu’il a présidée a construit un pont essentiel entre la révolution et l’Assemblée constituante qui a intégré les différents courants révolutionnaires et créé les bases pour deux élections libres. Il est âgé, mais très circonspect et sage. Tout comme Béji Caïd Essebsi, le nouveau président. Ils veulent vraiment appliquer les valeurs de la révolution et n’ont pas de grandes ambitions personnelles.
La Tunisie est un exemple qui montre que les personnes sages avec des racines dans l’ancienne société peuvent constituer un pont important vers la nouvelle société révolutionnaire.

swissinfo.ch: L’attaque terroriste contre le Musée national, en mars, montre la vulnérabilité de ce pays qui fournit la plupart des combattants de l’Etat islamique. Comment estimez-vous le danger représenté par ceux qui reviennent de Syrie?

A. G.: La question est de savoir pourquoi des milliers de jeunes Tunisiens quittent leur pays pour rejoindre des extrémistes violents. Cela a à voir avec le manque de perspectives de vie et la misère noire de beaucoup de jeunes. En Tunisie, beaucoup de gens ont des difficultés économiques, notamment parce que désormais, de manière injuste, il y a beaucoup moins de touristes, ce qui nuit à la principale industrie du pays.
La proximité avec la Libye éclatée joue aussi un rôle. Ce pays est aujourd’hui un Etat en déliquescence et sans ordre, d’où sont venus un million de réfugiés vers la Tunisie. S’y ajoutent encore un autre million de réfugiés en provenance des zones de guerre au sud du Sahara. Pour la Tunisie et ses dix millions d’habitants, avoir 10 à 20% de réfugiés crée un problème énorme.
La principale difficulté est de sortir de la misère économique. Il faut tout de suite offrir de meilleures perspectives de vie aux jeunes, qui ont allumé la révolution en raison de la misère et du manque de perspectives. C’est le meilleur moyen de contrer l’instrumentalisation de la misère par les fondamentalistes islamiques.

swissinfo.ch: Pour en revenir au Forum, de quoi vous réjouissez-vous le plus durant ces quatre jours?

A. G.: Tout d’abord que je puisse, en tant que Suisse, donc en tant qu’enfant de la seule révolution réussie du «Printemps des peuples» de 1848, être aux côtés de la seule révolution réussie du «Printemps arabe» de 2011. Ensuite, je me réjouis des réponses à ma question qui est de savoir pourquoi ils ont rédigé une excellente constitution après la révolution, mais sans la soumettre au peuple par référendum, comme c’est habituellement le cas après une révolution démocratique. 

(Traduction de l'allemand: Olivier Pauchard), swissinfo.ch

Andreas Gross
Agé de 62 ans, Andreas Gross est historien, politologue et spécialiste des questions de démocratie directe.
Politiquement, il est depuis 24 ans membre de la Chambre basse du Parlement (socialiste). Il préside depuis huit ans le groupe socialiste du Conseil de l’Europe.
Dans le cadre du Conseil de l’Europe, Andreas Gross a surveillé à plusieurs reprises des processus électoraux dans différents pays. En Tunisie, il a été chef de la délégation des observateurs lors des élections de 2011 et de 2014. 

Plateforme internationale de la démocratie directe
Le Forum global pour la démocratie directe moderne a lieu du 14 au 17 mai à Tunis.
Le thème est «La décentralisation par la participation». Le hashtag pour Twitter est #globfor15.
Pour swissinfo.ch, le Forum de Tunis sera l’occasion de lancer au niveau international son nouveau portail consacré à la démocratie directe (hashtag #citizenpower).
Cette plateforme journalistique éclaire en dix langues les discussions, processus et défis actuels autour des thèmes des droits populaires, de la participation active des citoyens et de la démocratie participative.
 
Source

 

 

samedi 9 février 2019

Le frère de Bouteflika éloigne un médecin tunisien du service où est hospitalisé son frère à Genève

Publié le 1 Septembre, 2018 - 10:35 




Ne voulant pas d’étrangers autour de son frère interné dans un hôpital à Genève, le frère du président algérien, Said Bouteflika, a demandé l’éloignement d’un médecin tunisien et d’une infirmière marocaine travaillant dans le service.

Affaibli par les séquelles d'un accident vasculaire cérébral en 2013, le président algérien, Abdelaziz Bouteflika (81 ans) est à Genève pour des «contrôles médicaux périodiques», selon la présidence citée par l'agence d'Etat APS. Sur place, le frère du président, Saïd Bouteflika a demandé l’éloignement de tous les étrangers de son frère, selon afrik.com.

La même source révèle qu’Abdelaziz Bouteflika est soigné au huitième étage du service d'oncologie de l’hôpital cantonal de Genève, dans l’aile des malades en phase critique. De peur que les informations ne fuitent et ne soient publiées sur l’état de santé de Bouteflika, plusieurs précautions ont été prises par l’entourage du chef d’Etat.

Bouteflika junior a ainsi demandé et obtenu qu'un médecin tunisien et une infirmière marocaine travaillant dans ce service des maladies critiques soient déplacés.

Présent sur place, Said Bouteflika, supervise de près l’état médical de son frère. Les gardes du corps du président sont logés dans les cinq chambres voisines.

vendredi 1 février 2019

La Maison du Tunisien voit le jour à Genève