par Marine Guillain le 23 mars 2015 - Un délinquant né en Suisse doit être expulsé en Tunisie, pays qu'il ne connaît pas mais dont il a le passeport. Il lui reste une dernière chance pour obtenir le droit de rester.
Chaque jour, depuis le centre de détention administrative de Frambois (GE), Medhi voit passer les avions au-dessus de sa tête. Il sait qu'il peut se retrouver dans l'un d’eux n'importe quand, direction Tunis. «J'avais pris une fausse route, la prison m'a servi et je ne referai pas les mêmes erreurs», promet le jeune homme, les yeux brillants.
Medhi (à gauche) entouré de ses trois frères, au mois de février à Frambois. (Photo: dr)
Entre 17 et 22 ans, il a cumulé les délits dans le canton de Vaud, où il a grandi: vols, dommages à la propriété, bagarres, conduite sans permis. Medhi a passé plus de 3 ans en prison à cause de diverses condamnations. Au bénéfice d'un permis C, le multirécidiviste d'origine tunisienne, aujourd'hui âgé de 24 ans, a reçu un avis d'expulsion. Il dort à Frambois depuis fin décembre.
«Notre pays doit assumer ses responsabilités»
«Mais il n'a aucun lien avec la Tunisie, toute sa famille vit ici. Il avait commencé un apprentissage de peintre en bâtiment. Il est Suisse!» s'insurge sa mère, établie à Lausanne depuis 25 ans. Pour Medhi, qui connaît mal l'arabe, «aucun avenir n'est possible là-bas. Je serai en danger, ce pays n'est pas sûr, surtout ces temps.» Il a déposé un recours au Tribunal fédéral, mais il a été débouté.
Seul espoir désormais: ses avocats vont saisir la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg: «Notre client a commis plusieurs infractions, aucune d'elles particulièrement grave, soutiennent Me Bayenet et Me Peter. Il est né et a grandi en Suisse, notre pays doit donc assumer ses responsabilités à son égard et ne peut pas s'en décharger sur la Tunisie. Par ailleurs, c'est ici que se trouvent sa famille, sa compagne et tout son réseau social. Son renvoi vers la Tunisie, qui est pour lui une terre inconnue, viole ses droits fondamentaux.» La Cour, surchargée, ne traite que peu de demandes. Une réponse négative tomberait en quelques mois, une procédure positive prendrait plusieurs années. Medhi demande à être libéré dans l’attente du verdict.
Le cas de Medhi est «extrêmement rare»
Des personnes étrangères nées en Suisse ont déjà été expulsées, à la suite de décisions de révocation de permis C prises au motif de condamnations pénales pour infractions graves, indique le Département de la sécurité à Genève. Il souligne que «ces situations exceptionnelles sont très rares». Même son de cloche dans le canton de Vaud: «Si la personne est née en Suisse, il faut que le crime soit particulièrement grave ou l'accumulation de délits très forte, avec un risque de récidive élevé», explique Frédéric Rouyard, du Service de la population. Vaud décide du sort des étrangers condamnés au cas par cas, en fonction de la menace qu'ils représentent pour la société et du contexte: l'âge de l'arrivée en Suisse, la durée de séjour, la gravité des actes, les risques de récidive, le lien avec le pays d’origine.
Tour de vis validé la semaine dernière
Le Parlement a accepté lundi dernier la révision du Code pénal mettant en œuvre l'initiative de l’UDC sur le renvoi des criminels étrangers, votée en 2010. L’expulsion automatique pour 5 à 15 ans sera en principe réservée aux crimes passibles d'au moins 3 ans de prison. Le juge pourra exceptionnellement renoncer à une expulsion si cela met l'étranger dans une situation personnelle grave et que les intérêts publics à l'expulsion ne l'emportent pas sur les intérêts de l'intéressé à demeurer en Suisse. Il devra aussi tenir compte de la situation particulière d'une personne née et ayant grandi en Suisse.
Statu quo malgré les attaques terroristes
Les attentats qui ont causé la mort de 21 personnes, dont 20 touristes, la semaine dernière au Musée du Bardo, à Tunis, ne devraient pas avoir d'incidence sur la décision de renvoi de Medhi. Lors d'une demande d'asile, les autorités fédérales tiennent compte de la situation et du potentiel danger dans le pays d'origine. Mais lors de l'expulsion d'un criminel étranger, du ressort des autorités cantonales, «ce sont la situation et la dangerosité de la personne en Suisse qui sont appréciées, indique Frédéric Rouyard. La licéité du renvoi et le risque personnellement encouru dans le pays de destination (par exemple le risque de condamnation à la peine de mort) sont également vérifiés». Le risque d'attentat ne pèse pas plus sur la personne concernée par le renvoi que sur l'ensemble des habitants ou voyageurs présents.
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