Ahmed, un Tunisien de 35 ans, est jugé dangereux pour la sécurité intérieure par le Service de renseignement de la Confédération. L’étudiant pourrait être lié à la mouvance «Lis!» qui s’est implantée en Suisse. Son comportement extrême l’a fait remarquer à Lausanne et Fribourg. Son avocat le rencontrera pour la première fois ce mercredi matin.
Les liaisons dangereuses d’un islamiste
Un Tunisien de 35 ans va être expulsé en raison d’un profil jugé dangereux pourla sécurité intérieure
L’étudiant pourrait être lié à la mouvance «Lis!», qui a distribué des Corans gratuits dans les villes suisses
Son comportement extrême l’a fait remarquer à Lausanne et Fribourg
Avec l’arrestation d’Ahmed*, c’est un nouveau pan de la nébuleuse djihadiste en Suisse qui se dévoile. Le Tunisien de 35 ans domicilié à Marly (FR) croupit derrière les barreaux, à Champ-Dollon, en vue d’un renvoi par vol spécial. Jugé dangereux pour la sécurité intérieure, il a été arrêté début janvier à Fribourg.
Rejeté par les musulmans fribourgeois pour son comportement vindicatif, Ahmed a fait allégeance au chef du groupe l’Etat islamique, selon la Tribune de Genève , qui a eu accès à un jugement du Tribunal administratif de première instance (TAPI).
Un détail semble ne pas figurer dans ce document, mais pourrait expliquer pourquoi le Service de renseignement de la Confédération (SRC) s’est tellement intéressé à Ahmed. Selon nos informations, ce Tunisien pourrait être lié à un autre islamiste radical, Salahdin*. Les deux hommes ont distribué des Corans dans la rue, à Genève, à peu près au même moment l’an dernier.
Salahdin, qui récemment encore apparaissait sur Facebook avec le qualificatif «as-Swissry», affichait clairement sa sympathie pour l’Etat islamique. Sur Facebook, sa photo de profil reprenait le drapeau de l’organisation. Selon les informations du Temps,Salahdin a tout récemment quitté la Suisse. Il connaît Abou Suleyman Suissery, un djihadiste parti du Nord vaudois pour combattre aux côtés de l’Etat islamique en Syrie, où il se trouve actuellement.
Auparavant, Salahdin aurait appartenu au groupe «Lies!» («Lis!»), en français), une initiative lancée par des musulmans installés en Allemagne, qui distribue gratuitement des Corans. Dirigé par le prédicateur Ibrahim Abou-Nagie, un chef d’entreprise de Cologne d’origine palestinienne, proche des milieux salafistes, «Lis!» s’est implanté en Suisse et a son propre groupe sur Facebook, en français. Des distributions gratuites de Corans ont eu lieu dans plusieurs villes suisses.
«Selon les dires de Salahdin, le groupe «Lis!» a divisé la Suisse en «gouvernorats». Et lui-même serait responsable du gouvernorat de Genève», commente une source proche des milieux sécuritaires. Selon elle, «le groupe comprendrait une centaine de sympathisants en Suisse». Jusqu’ici, les autorités peinaient à établir un lien évident entre «Lis!» et des mouvements djihadistes, malgré certaines inscriptions douteuses sur leurs stands. Mais dans une vidéo faite lors d’une de leur manifestation à Lausanne, le logo d’Ansar al-Charia Tunisie était clairement visible.
Or, Ahmed est notamment dans le viseur des autorités fédérales depuis les 17 et 30 mai 2014, date auxquelles il participait précisément à une distribution gratuite de Corans sur la place de Plainpalais puis celle du Molard, à Genève. Alerté, le SRC a depuis mené son enquête et surveillé étroitement Ahmed.
Toujours selon le jugement cité par la Tribune de Genève , le SRC s’adresse le 26 septembre à l’Office fédéral des migrations (ODM, entre-temps devenu Secrétariat d’Etat aux migrations), pour lui faire part de ses inquiétudes. Il lui demande de ne pas renouveler l’autorisation de séjour d’Ahmed, qui était officiellement étudiant depuis son arrivée en Suisse en 2006. Le 26 novembre, l’ODM obtempère et le somme de quitter le pays. Genève est chargé de l’exécution du renvoi. Le Tunisien disparaît pendant un mois. Le 24 décembre, Fedpol, l’Office fédéral de police, prononce une interdiction du territoire. Il se fera finalement pincer dans un train début janvier, à Fribourg.
Selon la base de donnée Teledata, Ahmed a vécu à Lausanne, à Marly (FR), à Fribourg, puis à Onex (GE). Sa dernière adresse, depuis le 7 décembre 2010, est située à Marly, où il vivrait avec une femme et un enfant.
Il a tenté d’entrer en contact avec plusieurs associations de musulmans fribourgeoises. Mais son comportement, décrit comme agressif et arrogant, lui a fermé des portes.
«Partout où il est passé, il est persona non grata. Mais rien dans ses propos ne laissait penser qu’il représentait un risque terroriste, sinon nous l’aurions signalé aux autorités. C’est plutôt son attitude invasive qui dérangeait», souligne un membre de l’Association des musulmans de Fribourg. Lors des élections législatives en Tunisie, en octobre dernier, Ahmed a été aperçu devant le bureau de vote lausannois ouvert aux Tunisiens de Suisse. Il aurait harangué les électeurs pour tenter de les convaincre de boycotter le scrutin, en affirmant que «la démocratie est contraire à l’islam». Les organisateurs ont fini par appeler la police pour l’éloigner.
L’été dernier, rapporte-t-on encore au sein de la communauté musulmane, il avait tenté de s’associer à une manifestation de soutien aux populations touchées par les raids israéliens sur Gaza. On l’a prié de passer son chemin après qu’il a sermonné une femme musulmane sur sa tenue vestimentaire.
Condamné à plusieurs reprises pour lésions corporelles et violence ou menace contre des fonctionnaires, Ahmed aurait des contacts avec un «Tunisien condamné à l’étranger pour ses liens avec le terrorisme international». Contacté, le SRC ne fait pas de commentaire. Aucune procédure pénale n’a été ouverte contre lui, confirme au Temps son avocat Bernard Nuzzo. «J’ai été saisi du dossier lors de l’audience au TAPI le 12 janvier et n’ai pas encore pu voir mon client. Je le rencontre ce mercredi matin pour la première fois», précise-t-il. Impossible donc de savoir quelle sera sa ligne de défense.
Ces révélations interviennent au moment où la Suisse est pour la deuxième fois signalée comme cible possible par des djihadistes dans une vidéo. «Un profil comme celui du Tunisien arrêté interpelle. Et on doit considérer avec sérieux les liens et relations supposées de cet homme avec des individus en Suisse», commente Jean-Paul Rouiller, directeur du Geneva Centre for Training and Analysis of Terrorism (GCTAT).
* Prénoms fictifs
«Partout où il est passé, il est persona non grata. Mais rien ne laissait penser qu’il représentait un risque»
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