« Les choix économiques actuels sont contre-révolutionnaires »
Fin
observateur du paysage politique tunisien, plume acerbe à l’égard des
monarchies des pétrodollars, Riadh Sidaoui, politologue, spécialiste du
Monde arabe et notamment de l’Algérie et des mouvements islamistes ne se
contente pas d’analyser la crise politique en Tunisie en rejetant la
faute sur la scène politique.Il affirme, qu’au-delà du blocage
politique, se cache une classe marginalisée, défavorisée, qui a
constitué « le noyau dur de la révolution tunisienne » et qui est
capable d’exploser et de provoquer une nouvelle révolution dont le seul
slogan serait : travail, rien que du travail. Synthèse.
La Tunisie n’est pas uniquement l’affaire des Tunisiens
Analysant le contexte géopolitique de la Tunisie et les points de vue de nos voisins sur la situation actuelle dans le pays, il nous dit que ce qui se passe en Tunisie n’est pas seulement l’affaire des Tunisiens. « Plusieurs partenaires étrangers agissent afin de mettre fin à la crise », nous confie-t-il; avant de préciser : « L’Algérie, cette grande sœur de la Tunisie, et à sa tête le président Bouteflika, a reçu Rached Ghannouchi et Béji Caïd Essebsi à maintes reprises afin de favoriser l’entente et le consensus. C’est dans le cadre du contexte géopolitique que l’Algérie suit ce qui se passe chez nous, mais elle a d’autres soucis : ses frontières avec la Libye, qui est complètement instable, le Mali, le Polisario et aujourd’hui le Maroc ».
Evoquant le rôle des Etats-Unis, M. Riadh Sidaoui nous précise : « C’est un autre acteur, invisible pour le peuple tunisien. Ce pays pousse la Tunisie vers le modèle politique américain, c’est-à-dire une démocratie fondée sur deux grands partis politiques et qui ne discutent pas l’économie du marché : un parti républicain conservateur (Mouvement Ennahdha) et l’autre démocrate libéral (Nidaa Tounes). Les États-Unis n’optent pas pour le Front populaire à cause de son choix économique ».
La crise reste tunisienne et le pays reste dans l’impasse. « Il est très difficile de faire admettre aux médias internationaux que la Tunisie n’organisent pas les élections, deux ans après sa révolution », affirme-t-il.
Une crise économique renforcée par des choix politiques erronés
Selon lui, la Tunisie n’est pas soutenue par les Etats riches. L’Algérie, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis ne regardent pas d’un bon œil l’idéologie du mouvement Ennahdha. Quant à l’Union européenne, s’agissant du dossier tunisien, elle est guidée par la France.
Le Qatar lui « n’a malheureusement pas investi sérieusement en Tunisie et cela est dû à l’impopularité de la troïka et au fait que le mouvement Ennahdha soit membre des Frères musulmans. Bien entendu, l’Arabie saoudite ne veut pas de cet organisme ni de ses appendices », avance-t-il; avant d’ajouter : « Ce refus, on le perçoit à travers certains articles parus dans la presse saoudienne qui parle de « diplomatie de la mendicité ».
Le spécialiste s’attaque aussi aux choix économiques de la troïka : « Les choix économiques tunisiens sont erronés. Ils sont contre-révolutionnaires car il s’agit de choix ultralibéraux », avant de rappeler : « le noyau dur de la Tunisie s’est révolté à cause du chômage et de la précarité. Les jeunes des régions défavorisées espéraient un Etat social, voire un Etat-providence, un secteur public fort, un Etat capable de répondre aux aspirations des jeunes ».
Rupture totale entre l’élite politique et les citoyens tunisiens
Sur ce point, M. Sidaoui n’épargne pas l’élite politique et la considère comme « aveugle » avant de souligner que celle-ci ignore la crise économique et sociale. Selon lui, les politiciens ne voient que l’aspect politique de la crise, c’est-à-dire le pouvoir, tout en ignorant les attentes des régions défavorisées, celles qui ont déclenché la révolution.
D’ailleurs, il rappelle que, selon des statistiques officielles, 95% des blessés et des martyrs de la révolution sont soit des chômeurs, soit des ouvriers. « Pourquoi pas une nouvelle révolution sociale en Tunisie, dont l’unique slogan serait le travail », s’interroge-t-il. « Nous avons peur, dit-il, que ces gens marginalisés attaquent les administrations, les symboles de la souveraineté. Si cette révolution a lieu, elle surprendra l’élite politique qui doit comprendre que la crise est multiple : économique, sociale et sécuritaire ».
Pour cette raison, il demande aux partis politiques de penser à proposer un contrat social pour unir tous les citoyens, un Etat où tous les citoyens vivraient dignement. Cet Etat serait financé par les impôts qui seraient prélevés proportionnellement aux gains, dans le cadre de l’équité fiscale. « Si on n’instaure pas l’Etat-providence en Tunisie, nous ne connaitrons pas la paix », indique-t-il.
Que d’ambigüité politique !!!
Au niveau politique, le politologue regrette qu’il n’y ait pas de clarification au sujet de la séparation des pouvoirs. « Nos citoyens n’ont pas exercé la démocratie locale puisque c’est la capitale qui nomme les gouverneurs, les délégués et les maires.
Mais revenant sur le sujet du calendrier électoral, M. Riadh Sidaoui rappelle que depuis les élections du 23 octobre 2011, celui-ci n’a jamais été respecté. « Au départ, la date du 23 octobre 2012 était proposée, puis ce fut janvier 2013. On se rappelle aussi que le Premier ministre avait parlé de la fin de l’année 2013 et, cerise sur le gâteau, le président de la République Moncef Marzouki annonce, lors d’une interview accordée récemment à un quotidien jordanien, que les élections pourraient se tenir dans six mois ».
Et d’ajouter : « Tous ces reports font que les Tunisiens perdent confiance dans le calendrier électoral qui, faut-t-il encore le rappeler, est sacré dans d’autre pays. « Nous sommes l’unique démocratie au monde où les citoyens ne savent pas quand les élections se tiendront », signale-t-il.
Comment aboutir au consensus ?
Le seul moyen pour mener la barque à bon port est le consensus. D’ailleurs, il propose de tirer la leçon de l’expérience suisse qui, en 1959, a opté pour un gouvernement de coalition entre les différents partis (gauche et droite) durable, afin d’éviter la déchirure politique. Autrement dit, gauche et droite gouvernent ensemble depuis des décennies.
Publié le 10 décembre 2013, par l'Economiste Maghrébin
La Tunisie n’est pas uniquement l’affaire des Tunisiens
Analysant le contexte géopolitique de la Tunisie et les points de vue de nos voisins sur la situation actuelle dans le pays, il nous dit que ce qui se passe en Tunisie n’est pas seulement l’affaire des Tunisiens. « Plusieurs partenaires étrangers agissent afin de mettre fin à la crise », nous confie-t-il; avant de préciser : « L’Algérie, cette grande sœur de la Tunisie, et à sa tête le président Bouteflika, a reçu Rached Ghannouchi et Béji Caïd Essebsi à maintes reprises afin de favoriser l’entente et le consensus. C’est dans le cadre du contexte géopolitique que l’Algérie suit ce qui se passe chez nous, mais elle a d’autres soucis : ses frontières avec la Libye, qui est complètement instable, le Mali, le Polisario et aujourd’hui le Maroc ».
Evoquant le rôle des Etats-Unis, M. Riadh Sidaoui nous précise : « C’est un autre acteur, invisible pour le peuple tunisien. Ce pays pousse la Tunisie vers le modèle politique américain, c’est-à-dire une démocratie fondée sur deux grands partis politiques et qui ne discutent pas l’économie du marché : un parti républicain conservateur (Mouvement Ennahdha) et l’autre démocrate libéral (Nidaa Tounes). Les États-Unis n’optent pas pour le Front populaire à cause de son choix économique ».
La crise reste tunisienne et le pays reste dans l’impasse. « Il est très difficile de faire admettre aux médias internationaux que la Tunisie n’organisent pas les élections, deux ans après sa révolution », affirme-t-il.
Une crise économique renforcée par des choix politiques erronés
Selon lui, la Tunisie n’est pas soutenue par les Etats riches. L’Algérie, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis ne regardent pas d’un bon œil l’idéologie du mouvement Ennahdha. Quant à l’Union européenne, s’agissant du dossier tunisien, elle est guidée par la France.
Le Qatar lui « n’a malheureusement pas investi sérieusement en Tunisie et cela est dû à l’impopularité de la troïka et au fait que le mouvement Ennahdha soit membre des Frères musulmans. Bien entendu, l’Arabie saoudite ne veut pas de cet organisme ni de ses appendices », avance-t-il; avant d’ajouter : « Ce refus, on le perçoit à travers certains articles parus dans la presse saoudienne qui parle de « diplomatie de la mendicité ».
Le spécialiste s’attaque aussi aux choix économiques de la troïka : « Les choix économiques tunisiens sont erronés. Ils sont contre-révolutionnaires car il s’agit de choix ultralibéraux », avant de rappeler : « le noyau dur de la Tunisie s’est révolté à cause du chômage et de la précarité. Les jeunes des régions défavorisées espéraient un Etat social, voire un Etat-providence, un secteur public fort, un Etat capable de répondre aux aspirations des jeunes ».
Rupture totale entre l’élite politique et les citoyens tunisiens
Sur ce point, M. Sidaoui n’épargne pas l’élite politique et la considère comme « aveugle » avant de souligner que celle-ci ignore la crise économique et sociale. Selon lui, les politiciens ne voient que l’aspect politique de la crise, c’est-à-dire le pouvoir, tout en ignorant les attentes des régions défavorisées, celles qui ont déclenché la révolution.
D’ailleurs, il rappelle que, selon des statistiques officielles, 95% des blessés et des martyrs de la révolution sont soit des chômeurs, soit des ouvriers. « Pourquoi pas une nouvelle révolution sociale en Tunisie, dont l’unique slogan serait le travail », s’interroge-t-il. « Nous avons peur, dit-il, que ces gens marginalisés attaquent les administrations, les symboles de la souveraineté. Si cette révolution a lieu, elle surprendra l’élite politique qui doit comprendre que la crise est multiple : économique, sociale et sécuritaire ».
Pour cette raison, il demande aux partis politiques de penser à proposer un contrat social pour unir tous les citoyens, un Etat où tous les citoyens vivraient dignement. Cet Etat serait financé par les impôts qui seraient prélevés proportionnellement aux gains, dans le cadre de l’équité fiscale. « Si on n’instaure pas l’Etat-providence en Tunisie, nous ne connaitrons pas la paix », indique-t-il.
Que d’ambigüité politique !!!
Au niveau politique, le politologue regrette qu’il n’y ait pas de clarification au sujet de la séparation des pouvoirs. « Nos citoyens n’ont pas exercé la démocratie locale puisque c’est la capitale qui nomme les gouverneurs, les délégués et les maires.
Mais revenant sur le sujet du calendrier électoral, M. Riadh Sidaoui rappelle que depuis les élections du 23 octobre 2011, celui-ci n’a jamais été respecté. « Au départ, la date du 23 octobre 2012 était proposée, puis ce fut janvier 2013. On se rappelle aussi que le Premier ministre avait parlé de la fin de l’année 2013 et, cerise sur le gâteau, le président de la République Moncef Marzouki annonce, lors d’une interview accordée récemment à un quotidien jordanien, que les élections pourraient se tenir dans six mois ».
Et d’ajouter : « Tous ces reports font que les Tunisiens perdent confiance dans le calendrier électoral qui, faut-t-il encore le rappeler, est sacré dans d’autre pays. « Nous sommes l’unique démocratie au monde où les citoyens ne savent pas quand les élections se tiendront », signale-t-il.
Comment aboutir au consensus ?
Le seul moyen pour mener la barque à bon port est le consensus. D’ailleurs, il propose de tirer la leçon de l’expérience suisse qui, en 1959, a opté pour un gouvernement de coalition entre les différents partis (gauche et droite) durable, afin d’éviter la déchirure politique. Autrement dit, gauche et droite gouvernent ensemble depuis des décennies.
Publié le 10 décembre 2013, par l'Economiste Maghrébin
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