lundi 14 mai 2018

«Ces délinquants sont venus pour se faire de l’argent»

Interview Le chef de la police judiciaire lausannoise analyse l’explosion des délits commis par des Maghrébins.

A la tête des enquêteurs de la police municipale de Lausanne depuis novembre 2011, le capitaine Jean-Luc Gremaud est aussi un expert de l’identité judiciaire reconnu sur le plan international. Il mène la lutte contre une petite délinquance qui a explosé depuis le Printemps arabe. L’an dernier, 2500 Tunisiens ont demandé l’asile dans notre pays. Déboutés ou en attente d’une réponse, une partie d’entre eux s’adonnent au vol et au trafic de drogue. A Lausanne, les petits délits ont doublé.

Missions à l’étranger

La spécialité du capitaine Jean-Luc Gremaud, 49 ans, c’est l’identification des personnes décédées. C’était le sujet de la thèse de doctorat qui a couronné ses études à l’Ecole des sciences criminelles de l’Université de Lausanne. Il a ensuite dirigé l’Identité judiciaire de la police cantonale valaisanne. Et il a participé à des missions à l’étranger. Il s’est ainsi rendu au Kosovo en 1999 dans le cadre du mandat de procureure générale du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) confié à Carla Del Ponte. Il a participé à la création en 2001 de l’équipe suisse d’identification des victimes de catastrophes (Disaster Victim Identification, DVI), avec laquelle il est parti en Thaïlande à la suite du tsunami du 26 décembre 2004. Il a aussi été appelé à travailler sur l’accident de car qui a fait 28 morts le 13 mars dernier à Sierre (VS).

Jean-Luc Gremaud a observé depuis deux ans une explosion de la petite délinquance, attribuée pour une grande part aux Maghrébins.
Image: JEAN-PAUL GUINNARD

 

On parle toujours de «Maghrébins», mais a-t-on une idée plus précise des nationalités de ces petits délinquants?

- Les Tunisiens sont clairement surreprésentés. Si on considère le trafic de stupéfiants, 80% des délinquants arrivés ici après le Printemps arabe proviennent de Tunisie. On compte ensuite 8% d’Algériens et 4% de Libyens. Les Egyptiens sont faiblement présents. Le nombre de demandes d’asile déposées par des Syriens est en croissance, mais cela ne se traduit pas par une augmentation des délits. Nous sommes prudents avec ces chiffres. En effet, il nous est difficile de vérifier l’origine réelle de ces personnes. Comme il n’existe pas d’accord de réadmission ni de protocole de renvoi entre la Suisse et la Tunisie, certains ont intérêt à se présenter comme Tunisiens pour éviter un retour forcé dans leur vrai pays.

On entend parfois dire qu’une partie d’entre eux étaient des prisonniers de droit commun évadés dans leur pays. Est-ce vrai?

- Il est difficile de connaître leur parcours. La plupart ont un objectif clair: se faire de l’argent. Je dirais que cette population se répartit entre une minorité, d’un côté, qui menait une existence modèle dans le pays d’origine; à l’autre extrémité, on trouve une autre minorité formée de délinquants qui ont probablement passé quelques années en prison; et au milieu, une majorité qui a choisi de commettre des petits délits pour gagner de l’argent. Ce ne sont pas des criminels de haut vol, mais plutôt des touche-à-tout. Leur habileté et la facilité avec laquelle ils décident d’enfreindre la loi montrent qu’ils ne sont pas des débutants.

Ont-ils l’image d’une Suisse peu sévère sur le plan pénal?

- Oui, ils le savent. Ils évaluent le rapport entre les risques encourus et les avantages souhaités. Ils veulent obtenir de l’argent et acceptent, comme prix à payer, de passer quelques heures, voire quelques jours, dans des geôles suisses. Dans notre pays, ce rapport est à leur avantage. Ils commettent des petits délits qui pourrissent la vie des citoyens mais qui restent des actes de peu de gravité d’un point de vue pénal. Cela leur vaut quelques ennuis qu’ils sont prêts à assumer. Sur un plan plus local, je constate que Lausanne est confrontée à des phénomènes urbains spécifiques, mais avec des procédures extrêmement lourdes imposées par le canton. De ce fait, Lausanne fait face à des problèmes comparables à ceux de Genève, par exemple, mais avec des armes bien moins efficaces.

Combien de ces Maghrébins avez-vous arrêtés, et pour quels délits?

- Dans les six premiers mois de 2012, nous avons interpellé 475 personnes originaires du Maghreb. Ce sont principalement des hommes âgés de 20 à 30 ans. Dans le classement des délits, les infractions à la loi sur les étrangers se trouvent en première position: ils sont dans une situation irrégulière. Ensuite viennent les vols, notamment les vols par effraction dans les véhicules, et le trafic de drogue. On observe un glissement vers les cambriolages d’appartements et de commerces. Ce sont des délinquants polyvalents.

Quel est leur impact sur l’évolution de la petite délinquance?

- On a observé une véritable explosion entre 2010 et 2011, notamment pour les vols à l’arraché (+198%), les vols avec effraction dans les véhicules (+68%), les vols à la tire et à l’astuce (+83%). 3382 cas ont été comptés pour ces trois domaines en 2011, soit un accroissement de 1514. En 2012, cette situation s’est encore accentuée. On peut attribuer une très grande partie de cette petite délinquance aux Maghrébins.

Entrent-ils en concurrence avec d’autres groupes ethniques?

- A Lausanne, nous avions réussi à juguler le rôle des Albanais dans le trafic d’héroïne. Ce marché a été repris par les Maghrébins. Ils achètent le produit aux Albanais de Genève et le coupent avant de le revendre. Sur le front de la cocaïne, on peut parler d’une sorte d’accord tacite avec les Africains de l’Ouest. Mais on voit apparaître des tensions, par exemple dans le secteur de Bel-Air, qui nous inquiètent car elles se durcissent. Elles sont dues à la concurrence sur le produit ou à l’occupation du territoire.

Ces délinquants peuvent-ils se montrer violents?

- Si on parle des vols de collier commis sur des passantes, forcément, c’est un acte violent, puisqu’il faut soit trancher l’objet, soit l’arracher, ce qui peut provoquer des blessures. Mais, d’une manière générale, il serait incorrect de considérer que les Maghrébins sont plus agressifs que les autres délinquants. On observe actuellement une dérive. Certains ne se contentent plus de vendre des stupéfiants. Ils exercent une contrainte sur des toxicomanes qui, en échange d’une dose, doivent eux-mêmes vendre de la drogue puis leur remettre la recette.

Les aides au retour, comme le «plan Maghreb» genevois doté de 4000 fr., sont-elles efficaces?

- D’une manière générale, ce type d’aide pose un problème. Elle s’adresse à des gens en partie venus en Suisse pour gagner de l’argent de manière délictueuse. Et on leur propose de rentrer volontairement. Vous imaginez l’impact que cela peut avoir. Une telle aide au retour revient à contrarier leurs plans.

La police intervient au nord de la place de la Riponne, les délinquants se déplacent au sud. Après une interpellation, la libération suit rapidement. Votre travail est-il utile?

- Un cas est un cas, un lésé est un lésé. Si on peut retrouver l’auteur d’un délit, c’est notre mission. S’il s’agit d’une goutte d’eau dans un océan, j’en prends acte, mais, face au lésé concerné, je suis satisfait. Le tsunami de 2004 en Asie a provoqué la mort de 230 000 personnes. Quand je suis parti là-bas pour participer à l’identification des corps, je savais que nous n’identifierions peut-être que 5% des victimes. Mais si on se met à la place de quelqu’un dont on vient d’identifier un proche, notre action prend une autre dimension.

Une situation inextricable
Karim se trouve en Suisse depuis un an. Dans sa vie antérieure, cet homme de 35 ans vivait chichement de la pêche dans le sud de la Tunisie, à Kerkena. Il a traversé la Méditerranée sur un bateau chargé de 16 compatriotes qui a failli chavirer à cause d’une tempête. Karim a débarqué à Lampedusa, l’île italienne aux premières loges de l’immigration venue d’Afrique. «J’ai ensuite passé six mois en Italie dans un centre. Puis ils m’ont libéré et je suis venu en Suisse par Chiasso. J’ai demandé l’asile à deux reprises, ça a été refusé et j’ai été refoulé en Italie. Je suis revenu en Suisse où je vis maintenant dans la clandestinité», raconte-t-il. 

Comment vit Karim? «Je me débrouille. On est obligés de faire des conneries pour s’en sortir.» Il admet avoir fait du trafic de marijuana. Et aussi avoir pratiqué le vol à l’étalage quand il n’avait pas de quoi s’acheter des produits de toilette. «Mais c’est fini, tout ça», affirme-t-il. L’avenir? «Pour le moment, je ne sais pas», répond-il. Et l’aide au retour? La Confédération a mis sur pied un programme destiné aux Tunisiens, applicable du 15 juillet 2012 au 30 juin 2013. Karim s’est renseigné. Mais, assure-t-il, l’appui est insuffisant: «J’ai demandé 10 000 fr. pour que je puisse acheter une barque. On m’a parlé de 4000 fr. Mais avec cette somme, il n’est pas possible de lancer un projet et vivre correctement. Le niveau de vie est plus élevé. Après la révolution, les prix des matières premières de base ont flambé.» 

Dans le canton de Vaud, personne n’a encore bénéficié de ce programme. Aux côtés de Karim, Fathi Othmani, membre du bureau exécutif de la Communauté tunisienne en Suisse, tente d’apporter son aide et sert d’interprète. Installé depuis de nombreuses années dans notre pays, enseignant à Lausanne, il fait un constat désabusé: «Je comprends les habitants agacés par cette petite délinquance. C’est une situation absurde, qu’il faudrait résoudre au niveau européen. Ces jeunes Tunisiens sont sans solution. Et toute la communauté tunisienne, même ceux qui sont intégrés depuis des années, est stigmatisée». (24 heures)

Créé: 19.09.2012, 07h10 par Philippe Maspoli

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