11.11.2017 par Jacques Berset, cath.ch
Montassar BenMrad et Martine Brunschwig Graf, entourant Serge Gumy, rédacteur en chef de La Liberté ¦ © Jacques Berset
Dans le cadre de la Semaine suisse des Religions, le Groupe interreligieux et interculturel de la Gruyère (GIIG) avait invité, vendredi soir 10 novembre, Martine Brunschwig Graf, présidente de la Commission fédérale contre le racisme (CFR), et Montassar BenMrad, président de la Fédération d’organisations islamiques de Suisse (FOIS) et vice-président du Conseil suisse des Religions (SCR).
Depuis l’attentat sanglant du 7 janvier 2015 contre l’hebdomadaire satirique “Charlie Hebdo” et les nombreuses attaques djihadistes dans les rues de Paris, Nice, Londres, Berlin, Barcelone ou Bruxelles, l’image des musulmans d’Europe s’est fortement dégradée. Prônant le dialogue et l’interconnaissance, le GIIG estime que la peur de l’autre provient essentiellement de l’ignorance et du manque de connaissance mutuelle. Des études montrent aussi que, par rapport à d’autres religions, l’islam est surexposé dans les médias.
“Construire le vivre ensemble, dans la diversité des croyances”
Une bonne soixantaine de personnes, venues de tout le canton, mais
aussi de plus loin, s’étaient donné rendez-vous aux Halles de Bulle pour
échanger avec les deux invités sur le thème “Diversités des croyances:
construire le vivre ensemble”. Au cours d’un débat de très bonne tenue,
arbitré par Serge Gumy, rédacteur en chef du quotidien La Liberté,
quelques remarques ont fusé des rangs du public, montrant qu’en matière
de présence musulmane dans le pays, le climat reste tendu.
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Martine Brunschwig Graf, présidente de la Commission fédérale contre le racisme (CFR) ¦ © Jacques Berset
En Suisse, on compte dix religions principales et 190 nationalités
vivent sur son territoire. Le pays vit ensemble avec toute cette
diversité, même si un sondage a montré que plus d’un tiers des personnes
interrogées déclarent être dérangées par ceux qui sont différents, a
relevé la présidente de la CFR.
A l’époque des initiatives xénophobes des années 1970 – les fameuses
initiatives Schwarzenbach – qui vont exacerber les tensions face aux
étrangers – c’étaient les travailleurs italiens qui étaient visés. “Il y
avait déjà des discours de haine, des gens engagés contre ces
initiatives ont reçu des menaces de mort…”
Les musulmans dans le collimateur
Aujourd’hui, outre les gens du voyage, les Roms, les Yéniches, sans
parler des personnes de couleurs, ce sont les musulmans qui sont dans le
collimateur. Le rejet de l’islam est en forte augmentation. Selon un
sondage paru fin août dans la presse alémanique, quelque 38% des Suisses
disent se sentir menacés par les musulmans de Suisse. La peur de
l’islam a plus que doublé au cours des treize dernières années.
“Le lien entre musulmans et terrorisme est omniprésent sur les
réseaux sociaux, sur Facebook, les blogs des journaux”, déplore Martine
Brunschwig Graf, membre du Parti libéral-radical, ancienne conseillère
nationale et conseillère d’Etat genevoise, par ailleurs présidente de la
Fondation pour l’enseignement du judaïsme à l’Université de Lausanne.
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Montassar BenMrad, président de la Fédération d’organisations islamiques de Suisse (FOIS) ¦ © Jacques Berset
“C’est la Suisse qui accueille le mieux les musulmans”
Engagé depuis plus de deux décennies dans le travail associatif et
dans le dialogue interreligieux – il a été cofondateur de la Maison du
dialogue de l’Arzillier, à Lausanne en 1998, et du Groupe musulmans et
chrétiens pour le dialogue et l’amitié en 2001- le Vaudois Montassar
BenMrad est à la tête de près de 200 associations musulmanes dans les
quatre régions linguistiques de la Suisse.
S’il admet que l’on vit une période de tension en ce qui concerne la
présence musulmane, il affirme, en comparaison notamment avec la France,
que “c’est la Suisse qui accueille le mieux les musulmans, on favorise
l’intégration…”
La situation s’est dégradée entre 2009 et 2017
Citant une étude de l’Université de Zurich sur des articles parus
dans les médias, l’expert en informatique d’origine tunisienne, haut
cadre dans une multinationale, affirme que la situation s’est beaucoup
dégradée entre 2009 et 2017. “La plupart des articles montrent désormais
de la distance par rapport aux musulmans, et ceux qui marquent de
l’empathie ont fortement diminué”, regrette le scientifique, qui a
obtenu son doctorat à l’EPFL en 1994.
Et de déplorer, en citant l’UDC et le PDC, que des partis politiques
utilisent la question de l’islam et des musulmans à des fins purement
politiques. Il estime “dommageable” que le PDC marche désormais sur les
plates-bandes de la formation nationaliste conservatrice. Gerhard
Pfister, président du PDC, s’est en effet récemment déclaré dans la
presse fermement opposé à une reconnaissance de l’islam. Le président de
la FOIS souligne cependant que cette attitude négative envers l’islam
se rencontre avant tout dans le PDC de Suisse alémanique.
Les mantras de l’UDC
Quant à l’UDC, lors de son assemblée des délégués du 28 octobre
dernier à Frauenfeld (TG), elle a une nouvelle fois déclaré qu'”une
reconnaissance de droit public de l’islam ou une formation étatisée
d’imams est hors de question”, arguant que “nous devons vivre selon nos
valeurs chrétiennes”.
Ainsi, peut-on lire pêle-mêle sur le site internet du premier parti
de Suisse: “L’activité pastorale des imams dans les prisons et à l’armée
doit cesser […] Les imams peuvent être remplacés par des psychologues
de l’armée ou des prisons […] Jusqu’à nouvel avis, les activités des
imams doivent être surveillées dans toute la Suisse […] La viande halal,
la dissimulation du visage etc. ne doivent pas être tolérées dans les
lieux publics comme les écoles, les prisons, les hôpitaux ou dans
l’armée”.
![](https://www.cath.ch/wp-content/uploads/sites/3/2017/11/Serge-Gumy-rédacteur-en-chef-de-La-Liberté-face-à-Martine-Brunschwig-Graf-présidente-de-la-Commission-fédérale-contre-le-racisme-CFR-¦-.jpg)
Serge
Gumy, rédacteur en chef de La Liberté, face à Martine Brunschwig Graf,
présidente de la Commission fédérale contre le racisme (CFR) ¦ © Jacques
Berset
Primauté de l’Etat de droit et de la législation commune
Se déclarant, comme tout citoyen suisse, ferme partisan de l’Etat de
droit et du respect de la législation de son pays, Montassar BenMrad se
dit que lui et la FOIS sont tout autant intéressés à traiter les risques
de dérives islamiques. Il partage la position de Martine Brunschwig
Graf, pour qui l’Etat de droit et la loi commune en Suisse priment en
tous les cas sur les préceptes de la loi religieuse, ajoutant que “les
gens qui sont ici peuvent exercer leur religion en toute liberté, pour
autant qu’ils respectent les règles de l’Etat de droit”. La politicienne
genevoise, née à Fribourg, a rappelé par ailleurs que, dans le passé,
les Eglises chrétiennes ont aussi connu des dérives.
Le représentant musulman se déclare en faveur de la reconnaissance de
sa communauté au niveau cantonal – il y a des démarches dans ce sens,
notamment dans les cantons de Vaud et Neuchâtel -, considérant que le
processus de reconnaissance forcera les communautés musulmanes à se
structurer. “Elles devront faire des efforts pour se fédérer. Il y aura
plus de transparence, les livres de comptes seront ouverts…”
Le Centre Suisse Islam et Société
S’il salue le travail fourni par le Centre Suisse Islam et Société
(CSIS) de l’Université de Fribourg, il rappelle que cette formation
universitaire n’est pas un enseignement théologique. Ce sont les
communautés locales qui sont responsables d’engager un imam. Dans le cas
de l’imam radicalisé de la mosquée An’Nur de Winterthur, “il y a eu un
gros dérapage, l’imam n’était pas formé, il était incompétent”. Le
président de la FOIS souligne qu’en principe les imams ont suivi une
formation universitaire, “mais de toute façon, il doit y avoir un
contrôle de qualité des imams”.
Le président de la FOIS concède que beaucoup trop d’entre eux sont
autodidactes, sans diplôme, et certains alimentent leur prêche avec les
réseaux sociaux, où l’on trouve d’innombrables fausses informations sur
l’islam. “Quand les communautés ont la capacité financière de payer le
salaire d’un imam, un professionnel formé, il y a davantage de filtres!”
Haro sur Blancho
Interrogé sur l’image négative de l’islam propagé par le Conseil
central islamique suisse (CCIS), d’obédience salafiste, Montassar
BenMrad estime que ce groupe ne compte que 42 membres actifs, avec,
peut-être, tout au plus 2 à 3’000 sympathisants, soit moins de 1% des
musulmans de Suisse. Tout comme sur l’autre bord Saïda Keller-Messalhi,
fondatrice et présidente du Forum pour un islam progressiste, “ils
ne représentent qu’eux-mêmes!” Par contre, le CCIS a fait “pas mal de
dégâts” à l’image des musulmans de Suisse, “mais on fait en sorte qu’ils
n’aient aucun accès à nos mosquées”. De toute façon, lance-t-il en
guise de conclusion: “Depuis qu’ils ont des problèmes avec le Ministère
public de la Confédération, ils se sont calmés…” Quant à lui, il veut
faire entendre “la voix du milieu, celle de la modération”. (cath.ch/be)
Martine Brunschwig Graf visée par Vigilance Islam
Peu avant le début des débats, la police s’est brièvement montrée aux
Halles. La raison: les menaces – “proches de menaces de mort” – reçues
par Martine Brunschwig Graf dans le cadre du colloque à l’Université de
Fribourg “Hostilité envers les musulmans: société, médias, politique”,
le 11 septembre 2017. Ce débat scientifique était organisé par la CFR,
en partenariat avec le Centre Suisse Islam et Société de l’Université de
Fribourg (CSIS) et le Centre de recherche sur les religions de
l’Université de Lucerne (ZRF). La présidente de la CFR avait été prise
pour cible par un membre de l’association genevoise Vigilance Islam et a porté plainte.
Le Groupe interreligieux et interculturel de la Gruyère
Pour le Groupe interreligieux et interculturel de la Gruyère (GIIG),
la simple coexistence entre les diverses communautés vivant en Suisse
n’est pas suffisante. “Dans un monde globalisé, avec le brassage
grandissant de la population et des cultures différentes, écrit-elle, la
nécessité de vivre ensemble est devenue vitale. Le monde a besoin
d’unité dans l’action des croyants: les valeurs universelles communes
aux différentes croyances ont le pouvoir de nourrir une société qui se
laïcise et s’individualise de plus en plus. Les croyants ont une
responsabilité spirituelle, morale et citoyenne d’ouverture vers
l’autre: ils doivent témoigner ensemble, sans condition ni angélisme, de
l’unité intrinsèque de la famille humaine, en dignité et en droit. Par
le dialogue et les comportements, nous pouvons contribuer à la paix. Nos
différences sont source d’enrichissement pour œuvrer ensemble!” JB
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