Le cas d’Abdennacer Naït-Liman, réfugié politique qui veut pouvoir
attaquer l’Etat tunisien et obtenir réparation à Genève, a été plaidé
mercredi devant la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de
l’homme
Une victime de torture, réfugiée en Suisse, peut-elle attaquer ses
bourreaux tunisiens devant les tribunaux civils de son pays d’accueil
afin d’obtenir réparation? Cette affaire lourde d’enjeux était plaidée
mercredi devant les 17 juges de la Grande Chambre de la Cour européenne
des droits de l’homme. Des délégations, en provenance de différents
pays, ont assisté à cette audience. Plusieurs magistrats genevois,
canton où cette procédure a débuté en 2004, étaient aussi du voyage.
L’arrêt, très attendu, sera rendu dans plusieurs mois.
Abdennacer Naït-Liman, 55 ans, a pris place dans le public. Ses
avocats, Me Philip Grant et François Membrez, rappellent que cela fait
vingt-cinq ans, presque jour pour jour, que cet ancien militant du parti
conservateur «La Renaissance» quittait les locaux du Ministère de
l’intérieur tunisien où il assure avoir été torturé durant six semaines.
Après s’être réfugié en Suisse et avoir obtenu l’asile politique en
1995, il a déposé une demande d’indemnisation en 2004 et réclamé
200 000 francs pour les traitements inhumains subis, en assignant
l’ancien ministre Abdallah Kallel et la République de Tunisie devant un
tribunal civil genevois. La première action d’un long combat.
Une compétence controversée
Les
avocats du requérant, qui a désormais obtenu la nationalité helvétique,
s’appuient sur la notion de «for de nécessité», prévu par la loi
fédérale sur le droit international privé, pour fonder la compétence des
tribunaux helvétiques alors même que les faits se sont déroulés à
l’étranger et que les parties en cause n’avaient à l’époque aucun lien
avec la Suisse. «Il ne s’agit pas d’ouvrir une compétence civile
universelle qui permettrait à tout un chacun de quémander justice devant
les Etats mais de disposer d’un for approprié lorsque la victime n’a
aucune autre solution pour agir», a plaidé Me Grant. Personne ne
soutient que le torturé pouvait s’adresser à la justice du pays qui
l’avait ainsi malmené.
La crainte d’être submergé
La déferlante est pourtant bien la crainte principale exprimée par le gouvernement suisse. Frank Schürmann, chef de section à l’Office fédéral de la justice, a souligné le caractère proprement «révolutionnaire» de cette requête et ses conséquences négatives sur le plan des relations internationales. Le représentant de la Suisse a rappelé que ce pays compte 46 000 réfugiés reconnus comme tels et 31 000 personnes qui sont dans le processus de l’asile. Ouvrir une compétence des tribunaux civils en raison de leur simple lieu de domicile serait excessif et inopérant. «Le droit d’accès à la justice n’a de sens que si l’exécution d’un jugement est possible.» Or, rien ne laisse imaginer ici que la Tunisie, même après un changement de régime, accepterait de se plier à une décision helvétique.Pour Frank Schürmann, le Tribunal fédéral a rendu un arrêt «raisonnable et judicieux» en retenant que le rattachement avec la Suisse doit exister au moment des actes reprochés et ne peut pas être créé après coup. Au nom de la Suisse, ce dernier a terminé en soulignant «les intentions louables» d’Abdennacer Naït-Liman et de ses conseils mais aussi leur grand «idéalisme». Par quatre voix contre trois, la Chambre de la CEDH avait conclu dans le même sens avant que l’affaire ne soit acceptée — c’est rare — par la Grande Chambre.
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