Par Abdellah Chahboun
Le 6 Juin, 2017
Genève – Tout n’est pas rose dans le quotidien des expatriés, appelés
par moments à gérer leur « solitude culturelle », ce sentiment
d’isolement qui pèse sur l’inconscient collectif comme pendant le mois
de jeûne.
C’est le cas typique de la communauté musulmane en Europe pour laquelle
le Ramadan révèle au grand jour un pressant besoin de renouer avec
l’ambiance du bled, faite de privation et d’ascèse morale, mais aussi de
moments de retrouvailles à forte connotation sociale.
Pour Ahmad Amouch, ingénieur d’origine tunisienne vivant en Suisse
depuis dix ans, il n’y pas de pause dans l’adaptation socioculturelle,
sauf en partie pour ceux qui puise de la force dans la présence d’une
communauté autour d’eux.
Avec la famille, l’intégration demeure la clef d’une immigration réussie
dès lors que, à ses yeux, « c’est auprès du milieu social immédiat
qu’on se ressource et l’on se sent pleinement intégré », chose qui
explique l’émergence de ce communautarisme saisonnier tout au long du
mois de jeûne.
Dans une cité à vocation cosmopolite par excellence comme Genève, le
mois de Ramadan est tout sauf une parenthèse festive ou une période de
moindre labeur pour une communauté connue pour être l’une des plus
dynamiques à l’étranger.
Commerçants, fonctionnaires internationaux, ouvriers ou étudiants… ils
sont des milliers à s’y installer chaque année avec l’ambition de
pouvoir ou de devoir faire mieux que les autres pour se tailler une
place dans leurs domaines d’activité.
Il y a cependant le revers de la médaille : la réalité de la distance
par rapport au pays d’origine et/ou la famille n’est pas sans faire des
ravages en termes d’éparpillement et d’effritement des liens sociaux,
parfois lourdement payés.
« Le ramadan est une expérience spirituelle qui revêt aussi une forte
dimension en termes d’entraide et de solidarité, et surtout comme
rempart contre la déviation et l’aliénation », estime Taher Al-Gulai,
président de la Ligue musulmane suisse.
Il n’y a chaque fois d’autre alternative que de reproduire, autant que
faire se peut, l’ambiance ramadanesque au bled qu’on connait, aux côtés
des gens du même milieu social, a-t-il déclaré à la MAP.
Comme le mois de Ramadan se déroule selon le calendrier lunaire
musulman, il se décale en rythme annuel de dix à onze jours par rapport
au calendrier grégorien. Il tombe cette année presqu’en plein solstice
d’été, d’où l’abstinence quotidienne du lever au coucher du soleil est
plus longue, ce qui peut affecter les capacités d’endurance des
jeûneurs.
Malgré cela, le président de la Ligue musulmane suisse ne voit pas de
différence substantielle entre le Ramadan en Suisse et dans un pays
musulman, affirmant que « seule l’ambiance n’est pas au rendez-vous ».
Tous les soirs, des dizaines de fidèles viennent faire la prière
d’al-Maghrib dans une salle aménagée à cet effet avant de se rassembler
autour de la même table de l’Iftar. « Ici la religion est commune, pas
les origines. Ils viennent essentiellement du Maghreb, d’Asie et
d’Afrique subsaharienne », souligne M. Taher, notant que la plupart de
ceux qui viennent sont des célibataires.
Ces tables de l’Iftar représentent pour cette communauté des moments de
partage, de convivialité et de piété à même de ressusciter, dans un élan
de nostalgie, les spécificités qui distinguent le ramadan dans la
Mère-patrie.
Le cérémonial cède ensuite la place à des débats savants sur la
spiritualité et les jouissances culinaires dont certains dénoncent
l’ampleur pendant ce mois au détriment des finalités escomptées du
jeûne. D’autant plus que le sens profond du Ramadan se résume dans les
gestes de bonté et d’entraide accomplis pour le bien commun de
l’individu et de la société.
A la fois acte religieux, social et parfois fait économique, le jeûne du
ramadan permet donc à chacun de se positionner dans une société de plus
en plus en manque de repères et de se considérer comme membre de la
communauté universelle des croyants.
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