Dans le cadre de son projet Matza, le Genevois Séverin Guelpa a passé
deux semaines dans l’archipel tunisien de Kerkennah pour en comprendre
les enjeux écologiques. En résulte une exposition pluridisciplinaire au
Musée national du Bardo de Tunis.
On les connaît peu, les îles Kerkennah. Mis à part la bataille navale
éponyme qui en agita les eaux en 1941, opposant destroyers anglais et
torpilleurs italiens, et sa grande palmeraie quelque peu clairsemée, on
pourrait dire que l’archipel tunisien se fait discret sur les cartes.
Situé à une vingtaine de kilomètres au large de la ville de Sfax,
Kerkennah compte 15 000 habitants. Une terre d’oubliés, pour la plupart
des pêcheurs tout droit sortis d’un autre temps, mais aussi le berceau
d’une forte identité culturelle.
Laboratoire d’idées
C’est ce paradoxe qui a inspiré l’artiste Séverin Guelpa à explorer
l’étrange microcosme, dans le cadre de son projet Matza. Lancée en 2014,
l’initiative vise à faire de l’art contemporain un moteur d’innovation
et d’émancipation, en s’intéressant à des territoires agités par des
questions démocratiques et écologiques.
De ce manifeste engagé
découlent de vraies aventures, au cours desquelles le Genevois,
accompagné d’une dizaine d’autres artistes et de scientifiques,
s’immerge dans une région durant plusieurs semaines pour en comprendre
les enjeux. Ceux-ci se traduiront plus tard dans une exposition
pluridisciplinaire, qui se veut un laboratoire d’idées. «Il s’agit de
nous confronter à des terrains fondamentalement politiques et
problématiques, et d’y réfléchir collectivement. Nos œuvres témoignent
ensuite de ces questionnements», explique Séverin Guelpa.
Arbre et filet de pêche
A la fin de mars, le Genevois et son équipe, pour la moitié formée
d’artistes tunisiens, ont ainsi posé leurs valises, pinceaux et
appareils photo sur le sable de Kerkennah. Au programme: deux semaines
de visites, de sorties en mer, de débats et de rencontres avec les
locaux. «L’accueil a été extraordinaire. Je n’ai jamais vécu un tel
échange, les gens étaient flattés que l’on s’intéresse à eux. C’est ça,
la beauté de l’art», s’enthousiasme Séverin Guelpa.
Au terme de
cette plongée en eau salée, une série d’œuvres conçues autour de l’île,
de ses défis et ses traditions, qui ont ensuite été rassemblées au Musée
national du Bardo, à Tunis. L’exposition, inaugurée vendredi, fait la
part belle au local, à travers une approche essentiellement plastique.
«Nous avons remonté un arrière de bateau du fond de l’eau, apporté un
arbre à l’intérieur ou encore tendu un énorme filet de pêche… Je
souhaitais que les œuvres soient élaborées à partir de ce que Kerkennah a
à offrir.»
Cette expédition est la troisième au compteur de Matza, avec toujours
le même fil conducteur: l’eau. Après avoir sondé le désert américain du
Mojave puis le glacier d’Aletsch en Valais, Kerkennah s’est imposé
comme une suite logique. La Méditerranée représentant la principale
ressource économique de l’archipel, ce dernier est en effet directement
concerné par la problématique hydraulique. Laquelle se fait de plus en
plus pressante, à l’heure où la région subit changements climatiques et
épisodes récurrents de marée noire.
Savoir-faire inspirant
La
mer comme moyen de subsistance mais aussi comme espace commun et lieu
de partage, voilà ce qui intéressait tout particulièrement Séverin
Guelpa. Car même si elle connaît actuellement une période d’incertitude,
la population de Kerkennah a toujours su s’adapter à cet environnement
particulier en faisant appel à un savoir-faire collectif.«Les îles étant entourées de
hauts-fonds, les habitants ont développé leurs propres techniques de
pêche, avec de petits bateaux et des enclos cernés de nasses dans
lesquels ils élèvent leurs poissons. Ils se nomment d’ailleurs les
agriculteurs de la mer», explique l’artiste, qui voit dans ce patrimoine
culturel un reflet de son propre projet. «Ce genre d’initiative montre que l’on peut avancer et se battre collectivement, avec des outils simples et intelligents.»
Une dizaine d'artistes se sont laisser inspirer par l'omniprésence de la Méditerranée, essentielle à la survie des habitants de Kerkennah. Matza
Futur musée éphémère
Un seul regret: les pêcheurs de
l’archipel ne monteront vraisemblablement pas jusqu’à la capitale pour
découvrir les œuvres qu’ils ont inspirées. Séverin Guelpa espère
retourner à Kerkennah l’année prochaine pour y démarrer un nouveau
projet, et pourquoi pas un musée éphémère que l’on viendra visiter de
loin.
«L’énergie solaire, le vent… Il y a des choses magnifiques à
faire ici, artistiquement parlant. Mon but est que la population se
réapproprie cette impulsion et continue à la faire vivre», promet
Séverin Guelpa, qui souhaite se consacrer davantage à ses projets
personnels. A commencer par son installation dans le cadre du festival
Do Disturb à Paris, du 21 au 23 avril, où il fera respirer
12 gigantesques oreillers en aluminium plastifié.
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