Taoufik Habaieb: Le génie tunisien comme unique salut
La politique, exécrable dans ses basses pratiques, comme en ces
derniers temps, ne saurait nous détourner de l’essentiel. Qu’avons-nous
fait pour préparer l’avenir des générations montantes ? Quelles
politiques publiques avons-nous déployées pour transformer l’école et
embrasser les métiers de demain ? A-t-on suffisamment encouragé la
recherche scientifique pour rattraper le gap et prendre pied dans le
concert de la science et du savoir ? Où en sommes-nous dans le
numérique, l’intelligence artificielle et toute cette nouvelle
déferlante qui est en train de bouleverser le monde ? Quels projets
d’envergure avons-nous initiés pour favoriser les sources renouvelables
dans notre bilan énergétique et la préservation du climat ?
Sur l’avenir, nous manquons de vision et prenons du retard !
Sur le stratégique, nous risquons d’être défaillants. Les pénalités
seront lourdes à assumer. La jeunesse de demain ne le pardonnera pas aux
dirigeants d’aujourd’hui.
L’émigration, subie ou choisie, de près d’un millier de jeunes médecins tunisiens,
rien qu’en 2017, en France, en Suisse, en Belgique, au Canada et dans
des pays de l’Afrique subsaharienne, nous interpelle doublement. Elle
apporte la preuve que la qualité de l’enseignement et de la formation
scientifique en Tunisie est prisée par des pays qui savent l’apprécier.
Le revers de la médaille, c’est que nous n’avons pas pu ou su les
garder. Désenchantés, déçus, sans perspectives d’avenir, confrontés à la
violence, la précarité et la déliquescence des soins dans les
établissements publics et à la taxation dans les cabinets privés, les
meilleurs n’ont d’autre choix que de partir.
Les médecins ne sont pas les seuls dans cet exode.
Ingénieurs, financiers, universitaires, chercheurs, juristes et autres
managers de haut niveau prennent eux aussi le chemin de l’expatriation,
dans un flux migratoire jamais observé auparavant. Ambition, désir de
mobilité et de changement d’horizon ? Aucun Tunisien n’est convaincu
qu’il pourra trouver ailleurs dans le monde un pays meilleur que sa
terre natale. Mais ceux qui partent, s’ils regrettent la douce Tunisie,
ne peuvent plus supporter y travailler.
Incapables de les retenir, qu’allons-nous faire pour entretenir avec eux ce grand lien affectif, patriotique ?
Comme pourrions-nous faire bénéficier le pays des dividendes de leur
nouvelle situation ? L’unique discours officiel prononcé à leur adresse
est celui d’envoyer de l’argent au pays et d’y investir. Aucun
réceptacle n’est ouvert pour tirer de toute la valeur ajoutée que ces
Tunisiens de l’étranger peuvent faire profiter la patrie. Chefs de
service dans de grands hôpitaux et de prestigieux laboratoires de
recherche, analystes et décisionnaires dans des banques et fonds
d’investissement, ingénieurs aux commandes d’éminents centres de
développement, dirigeants dans des multinationales et autres constituent
pourtant un capital précieux. Ne sont-ils pas en mesure d’accueillir
des stagiaires, de faire embaucher des compatriotes, d’établir des ponts
entre leurs institutions et celles de leur pays, de prodiguer des
conseils aux décisionnaires tunisiens, de souffler des idées, de
signaler des opportunités... Qui, en Tunisie, s’en soucie ? Qui s’en
occupe ?
Dans cette insouciance générale,
le grand virage de l’intelligence artificielle n’est pas pris à
bras-le- corps par les décisionnaires tunisiens. Le numérique, sa
culture, son enseignement, sa recherche et développement, son économie
et son essor se dispersent entre l’Education nationale, l’Enseignement
supérieur, le Commerce (électronique) et le ministère des TIC. Sans
coordination, sans synergie, chacun est sur sa planète.
Tout favorise pourtant la Tunisie dans cette voie de l’intelligence artificielle.
L’engouement quasi-intuitif des jeunes, la multiplication des
institutions d’enseignement et des laboratoires de recherche, la qualité
de l’enseignement et de l’encadrement font de notre pays et de notre
jeunesse des atouts majeurs dans cette conquête du futur.
Que manque-t-il alors ? La volonté politique !
Au-delà des discours, point de détermination affirmée, de plans
d’action avec des dates précises, de moyens conséquents et de
financements garantis. Les quarante « grandes options » issues des
récentes assises nationales de l’enseignement supérieur et de la
recherche scientifique (regrettablement boycottées par l’Ugtt), sans
programmation fixe, risquent d’être renvoyées aux calendes grecques. Et
nous voilà retomber dans la politique politicienne.
Au lieu de s’agacer de ce qui se dit ou s’écrit, de
s’étaler sur les commentaires au détriment de la conceptualisation de
sa politique et de son explication pour convaincre les Tunisiens, le
gouvernement n’a d’autre devoir que de privilégier dans ses politiques
publiques les grands choix d’avenir. Le génie tunisien - scientifique,
technologique, managérial, culturel et artistique - est notre précieux
capital. Sachons-le cultiver et en faire le pilier de notre futur.
Taoufik Habaieb
paru le 27 décembre 2017
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