dimanche 14 janvier 2018

Coach du Tunisien Malek Jaziri, ancien coach de Rodger


«Roger restera un môme joueur toute sa vie»

Coach du Tunisien Malek Jaziri, Christophe Freyss fut l’entraîneur en chef de Roger Federer durant deux ans au Centre national d’Écublens. Il jette un regard pointu sur celui qui est devenu un phénomène global.

 

Image: Corinne Dubreuil

 


Christophe Freyss, quand vous regardez Roger Federer aujourd’hui, que reste-t-il de sa technique lorsqu’il débarqua à Écublens en 1995?
 Le joueur qui est arrivé à 14 ans au centre national était évidemment talentueux mais encore très instable. On a beaucoup travaillé techniquement, surtout en revers. Sur ce coup comme au service ou à la volée, je vois le fruit d’un long travail. Par contre, il y a un truc qui existait déjà et que je me souviens de n’avoir pas voulu toucher: sa préparation en coup droit et cette faculté à descendre sa tête de raquette juste avant l’impact pour fouetter la balle avec une main très active. Ce geste lui appartient. C’était à lui depuis toujours (il mime le mouvement). Et puis il était capable de trouver facilement des zones décroisées longues et courtes quand il se décalait. Ce poignet exceptionnel, cet œil incroyable, tout était déjà là.

Le but était donc de protéger ce coup?
Exact. Je lui disais juste d’allonger la fin de geste, pour que son contact avec la balle soit un peu plus long. L’idée était de tenir un peu mieux la frappe sans altérer sa fulgurance.

Côté revers par contre, vous évoquez un chantier autrement plus ambitieux.
Côté revers, on peut vraiment parler d’une construction. Je me souviens de deux ou trois séances où je lui envoyais les balles à la main. Et quand un coup sortait bien, je lui disais: «Mémorise le chemin de ta raquette, retiens comment tu t’es couché sur cette frappe.» On bossait les appuis, sa ligne des épaules qu’il peinait à tenir. En slice, Roger faisait même un truc très bizarre avec sa tête. Celle-ci partait vers l’arrière à l’impact comme s’il ne voulait pas voir la direction que prenait son coup. Cette image est restée en moi, très précise.

Depuis sa victoire l’année dernière et les progrès de son revers, il y a débat entre ceux qui ont vu une évolution technique et ceux qui privilégient un changement d’attitude. Votre avis?
Franchement, je ne vois pas d’évolution technique notoire. Je pense plutôt que Roger est arrivé au constat suivant: j’ai un certain âge, les gars sont plus forts que moi physiquement, donc je vais perdre le moins de terrain possible pour écourter les échanges. Du coup, il utilise moins son slice et prend la balle au sommet du rebond. Attention, Roger est offensif depuis vingt ans. Mais il a poussé cette attitude encore plus loin en refusant de perdre un centimètre de terrain. Selon moi, c’est cette exigence qui a fait progresser son revers.

Est-ce que Roger Federer arrive encore à vous surprendre?
Oui. Parfois je me demande même comment il peut avoir l’idée de jouer certains coups. À Bâle, il a par exemple enchaîné après son service pour poser une volée de revers amortie qui s’est littéralement arrêtée. J’ai vu pas mal de trucs dans le tennis depuis quarante ans. Mais, là, je suis resté ébahi. C’était un coup de talent pur. Évidemment, les gens sont enchantés, ils applaudissent. Mais, au fond, je ne crois pas qu’ils mesurent à quel point c’est exceptionnel.

Comment a-t-il fait pour résister aux transformations du jeu depuis vingt ans?
En fait, je pense qu’il les a toujours anticipées. Pour nous, avec le recul, les évolutions sont assez logiques: il y a des cycles de grands attaquants puis de grands défenseurs, etc. Mais, dans les années 1990, je me demandais: qu’est-ce qu’un joueur pourrait faire de mieux pour devenir plus fort que Sampras? A priori, il y avait de la place pour un meilleur revers et un peu plus de coffre. Soit à peu près le portrait de Roger Federer. Aujourd’hui, les jeunes frappent à une vitesse que l’on ne pouvait pas soupçonner il y a vingt ans. C’est impressionnant. Mais il manque des choses dans leur jeu. Or que fait Roger? Il résiste, absorbe leur vitesse pour ensuite exploiter leurs faiblesses. J’ai l’impression qu’à chaque fois il avait vu ce qu’il devait continuer à faire ou modifier pour rester au top.

Et il aura 37 ans en août prochain…
Il n’y a pas d’adjectif… Il faudrait peut-être en inventer un. C’est invraisemblable qu’il ait encore cette envie, cette fraîcheur, ce besoin de gagner. C’est vital. Il aime le jeu par-dessus tout. Mais, quand j’y repense, cette passion était déjà présente à Écublens.

C’est-à-dire?
Tous les matins, j’avais le groupe pro de 10 h à midi. Roger sortait de l’école vers 11 h et il voulait jouer. Je lui disais: «Non, tu joueras cet après-midi.» Alors il faisait du mur contre le local à balles; ce qui faisait un boucan pas possible. Je lui disais d’arrêter. Il obéissait dix minutes puis craquait et recommençait. À un moment, on en a eu marre. J’ai dit aux gars: «On va lui foutre la trouille et le mettre tout habillé sous la douche.» Je savais qu’on n’irait pas jusqu’au bout, mais je voulais lui faire peur. On l’a porté jusqu’aux vestiaires… Ça l’avait bien choqué.

Ce besoin de jouer, de sentir la balle dans sa raquette, vous le voyez toujours chez lui?
Complètement. Roger restera un môme joueur toute sa vie. Et heureusement. Car c’est aussi ça qui lui permet de sortir des coups incroyables. Beaucoup d’autres gars ont perdu ce plaisir en cours de route. Pas lui. Chaque fois qu’il envoie la balle vers les ramasseurs, même de volée, même à l’autre coin du terrain, elle arrive dans leur main. À Miami, je regardais ce petit jeu et me disais: «C’est pas possible d’être aussi décontracté.»

À titre personnel, que ressentez-vous quand vous le voyez jouer et gagner encore?
Ça me touche, forcément. Je le regarde dans mon coin et je vois que ce que l’on avait mis en place durant ces années charnières était finalement assez juste. Les fondamentaux sur lesquels on a bossé se sont révélés assez solides pour qu’il puisse construire dessus. Je ressens de la satisfaction, de la fierté, de l’émotion aussi. L’année de son premier titre à Wimbledon (2003), j’étais là avec un groupe de juniors de l’ITF et il m’avait laissé un billet. Quand je l’ai vu sur ce court, à l’aise comme dans son jardin, ça m’avait fait quelque chose. Vraiment.

Et quand vous le croisez sur le circuit…
On échange quelques mots et on se rappelle toujours un souvenir d’Écublens. Comme Severin (Lüthi) était aussi dans le coup, chacun a gardé des petites histoires, toutes différentes.

Le coup de la douche a donc déjà été débriefé?
Pas encore. Mais c’est vrai, je vais devoir ressortir ce dossier (rires)

(nxp)

Créé: 12.01.2018, 21h01 par Mathieu Aeschamnn

 

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