Base de données presse et documentaires francophones sur toutes les relations entre la Tunisie et la Suisse.
Tous domaines confondus (politique, histoire, culture, sport, etc.)
Le procès du Tunisien, jugé depuis lundi à Vevey pour maltraitance extrême sur son épouse ramenée du pays, s’est dégonflé.
Cent
vingt jours de prison d’une main, et de l’autre une indemnité de 2000
francs pour le tort moral qu’il a subi dans cette affaire. Cent vingt
jours de prison qu’il n’aura pas à purger car il en a déjà subi 121 en
préventive, ce qui lui vaut au passage de recevoir 200 francs pour ce
jour de trop.
Le procès du ressortissant tunisien à permis C jugé
depuis lundi devant le tribunal criminel de Vevey, notamment pour viol
avec cruauté et tentative d’interruption de grossesse punissable sur son
épouse, s’est lamentablement dégonflé. L’homme niait tout en bloc.
N’ont finalement pu être retenues que les menaces qualifiées proférées
par ce chauffeur presque quinquagénaire envers sa compatriote affirmant
avoir vécu l’enfer durant les quatre mois qu’a duré leur mariage en
2014.
«Un doute irréductible majeur interdit à la Cour de prendre pour vérité les déclarations de la plaignante»
«La
cour a acquis la conviction qu’un doute irréductible majeur lui
interdisait de prendre pour vérité les déclarations de la plaignante»,
résume le tribunal, qui a suivi en tout point le raisonnement de Me
Gafner au côté du prévenu. Résidant désormais en Tunisie, l’épouse, plus
jeune de treize ans que son mari, n’avait pu être entendue par la
procureure avant que celle-ci ne renvoie l’affaire devant une cour
criminelle tant en raison de la gravité des accusations que du passé
pénal du prévenu. Celui-ci avait en effet été condamné en 2000 pour viol
avec cruauté perpétré sous la menace d’un couteau. Pour la magistrate,
il n’était pas exclu qu’il eût récidivé selon le même schéma.
Longuement
interrogée au procès hors la présence de son mari, la plaignante a
considérablement modéré des accusations qu’elle avait jusqu’alors
formulées uniquement par écrit. Les juges ont balayé celle de viol sous
la menace d’un couteau, observant que Madame s’était inspirée du
jugement de 2000 dont elle avait eu connaissance avant de déposer sa
plainte. Rien n’a permis non plus d’étayer la tentative d’interruption
de grossesse, sinon que le mari ne désirait pas cet enfant.
Le
tribunal n’a donc pas suivi la procureure Myriam Bourquin, qui avait
requis quatre ans fermes, certes en abandonnant elle aussi le viol avec
cruauté, mais en considérant que l’accusé était potentiellement
dangereux. La magistrate avait par ailleurs demandé en vain son
arrestation immédiate. Convaincue de la réalité de toutes les
accusations, la partie civile demandait une indemnité de 10'000 francs
pour tort moral. (24 heures)
Justice Un couple prévenu d’escroquerie
pour avoir indûment perçu plus de 600'000 francs en dix ans de micmac
entre la Suisse et la Tunisie.
L’addition présentée par le Centre social régional de Vevey atteint
des sommets. Depuis 2004, en onze ans, un couple et leur fils installés
sur la Riviera auraient indûment perçu très exactement 608'675 fr. 90 en
revenu d’insertion, prestations complémentaires AVS et subsides
d’assurance-maladie. Il leur est reproché d’avoir dissimulé d’importants
avoirs et ressources financières.
Le Centre social régional de Vevey réclame 608'676 francs aux prévenus.
Image: CHANTAL DERVEY
Monsieur menait sans l’avoir
dit plusieurs activités commerciales entre la Suisse et la Tunisie.
Notamment dans le secteur de la réparation de voitures, la gestion
d’achats et de transferts de fonds ainsi que l’exportation de devises.
Pour sa défense, Madame explique n’avoir pas eu connaissance des
multiples comptes bancaires au nom de son époux en Tunisie, et que ce
dernier la tenait très peu informée de ses occupations. Les deux ont été
appréhendés en juillet dernier, puis incarcérés pour prévenir tout
risque de collusion, de transfert de biens en Tunisie ou de destruction
d’éléments de preuves.
Affaire compliquée
L’enquête
n’est pas terminée, mais le couple a pu récemment retrouver la liberté,
dans l’attente de l’issue pénale de cette affaire qui s’annonce
compliquée. Il s’agit par exemple de la nécessité de mettre en œuvre une
procédure d’entraide judiciaire internationale. De l’ampleur du
patrimoine dissimulé, de la manière dont cela a été fait et de la durée
de l’arnaque dépend en effet la culpabilité des prévenus, donc la
sanction.
Procureur au Ministère public central, l’instance
actuellement en charge de toutes les affaires d’abus à l’aide sociale ou
au chômage, Sébastien Fetter observe que ces gens se sont montrés
plutôt collaborant. «Cela nous a permis de séquestrer environ
450'000 francs», indique le magistrat. Et de souligner tout de même que
les montants réclamés ici dépassent de loin la moyenne des situations
dénoncées à la justice, lesquelles vont généralement de 5000 fr. à
quelques dizaines de milliers de francs.
Inculpés d’escroquerie
Prévenus
d’escroquerie par métier, les intéressés risquent jusqu’à 10 ans de
prison. De fait, même pour de gros montants, les peines infligées sont
généralement d’un tout autre ordre de grandeur. En décembre dernier, un
couple avait ainsi écopé à Yverdon de 12 mois avec sursis pour avoir
touché sans droit 174'000 francs en cinq ans. Et il y a dix ans, en
2005, à Nyon, pour une addition identique, mais portant sur cinq ans,
une femme s’en était tirée avec 18 mois, également avec sursis (24 heures)
Créé: 07.12.2015, 18h06 par Georges-Marie Bécherraz
Par Barbara Pochinu Carta, Publié jeudi 3 juin 2010
L’un des organisateurs de la flottille est Genevois
Le sol du bureau d’Anouar Gharbi, à la
Maison des associations à Genève, est jonché de cartons aux couleurs de
la Palestine, de drapeaux et de keffiehs. «J’ai déménagé ce matériel
hier», explique ce Suisse d’origine tunisienne, 45 ans, qui préside
l’association genevoise Droit pour tous et qui est l’un des trois
coordinateurs de la «Campagne européenne pour la fin du siège à Gaza».
Ce désordre contraste avec son bureau: ordonné, fonctionnel, il ne
contient qu’un ordinateur portable, un téléphone, un crayon. La
«Campagne européenne» est l’une des associations à l’origine de la
«Flottille de la liberté». Son bateau, le 8000 (en
référence au nombre de Palestiniens emprisonnés en Israël), transportait
des médicaments, des maisons préfabriquées et du matériel de
construction ainsi que des parlementaires et des journalistes de divers
pays. Budget de l’opération, achat du navire compris: 3 millions de
dollars. «Son financement provient uniquement de dons, explique Anouar
Gharbi. Je ne peux pas me résoudre à laisser des gens mourir à petit
feu.»
Jeune étudiant, à Tunis, Anouar Gharbi était porte-parole du
syndicat de son université avant de fuir son pays, il y a une vingtaine
d’années. «Je ne supportais plus de vivre sous une dictature.» Il
s’installe alors en Suisse pays dont sa femme possède la nationalité.
Là, il se refait une vie. Sa femme travaille comme traductrice pour
l’ONU. Lui devient cadre dans une entreprise informatique. Mais il
conserve l’«âme d’un syndicaliste». Actif dans le milieu associatif, il
est l’un des fondateurs de la Maison des associations.
La
«Campagne européenne» a envoyé plus de 500 convois d’aide humanitaire à
Gaza: «essentiellement des médicaments, pas des roquettes!» lâche-t-il
provocateur. Il y a aussi les convois navals. Depuis cinq ans, seuls
quatre bateaux ont réussi à atteindre les côtes de Gaza, trois autres
ont été arrêtés en mer et un dernier a été endommagé par l’armée
israélienne.
Un syndicaliste objet d’attaque
Durant l’été
2009, Anouar Gharbi s’est rendu à Gaza avec une délégation de
parlementaires suisses dont Josef Zisyadis. Là, ils rencontrent Ismaël
Haniyeh, l’un des leaders du Hamas. «Je ne regarde pas la religion ou la
tendance politique, je suis internationaliste, je ne reçois des ordres
de personne», raconte-t-il avant d’ajouter: «Je garde tout de même une
distance critique.» De son côté, Josef Zisyadis précise qu’il ne
soutient pas le mouvement islamiste et que, sur ce point, «nous avons
des divergences» avec Anouar Gharbi.
Le syndicaliste ne craint-il
pas d’être instrumentalisé par une organisation que de nombreux Etats
qualifient de «terroriste»? «Pour Israël on est tous des terroristes,
rétorque-t-il. Je suis du côté de ceux qui défendent leur terre, leur
dignité. […] J’ai de la sympathie pour la résistance, que ce soit en
Irak, au Venezuela ou en Palestine.» Si on lui rappelle que la charte du
Hamas appelle à la destruction d’Israël, l’intéressé riposte:
«Connaissez-vous la charte du Likoud, le parti au pouvoir en Israël.
Elle stipule l’existence d’un Grand Israël depuis 3000 ans. Il n’y a
donc pas de place pour les Palestiniens.»
Anouar Gharbi n’hésite
pas à parler de «territoires occupés» à propos du territoire israélien
dans ses communiqués appelant à manifester sur la place des Nations à
Genève, à Berne ou à Zurich. Ueli Leuenberger, le président des Verts,
qui a eu des contacts avec Anouar Gharbi le considère comme «quelqu’un
de sérieux, qui réfléchit avant d’agir et n’hésite pas à demander
conseil».
Combatif, Anouar Gharbi est également l’objet
d’attaques. Ainsi a-t-il été pris à partie par certains médias et
milieux antiracistes lorsqu’il a accueilli, en 2008, Azzam Tamimi, un
intellectuel palestinien connu pour ses déclarations virulentes contre
Israël. Ainsi est-il l’objet d’intimidations de la part des «sbires de
Ben Ali». La semaine dernière encore, une voiture noire fonçait sur son
scooter alors qu’il quittait sa maison. «Je les connais. Ce n’est pas la
première fois, explique-t-il. J’ai déjà déposé plainte pénale auprès de
la police fédérale. Pour l’heure elle n’y a pas donné suite.»
Anouar
Gharbi est un musulman pratiquant: «Je crois en Dieu c’est tout»,
précise-t-il. Sur les étagères de sa bibliothèque, il y a plusieurs
ouvrages de Tariq Ramadan. «C’est un ami, nous avons milité ensemble
pour l’Irak, la Palestine, contre l’islamophobie.» Avant de se quitter,
il offre une carte postale représentant des enfants aux abords d’un
village de Cisjordanie, drapeaux palestiniens au vent. «J’aime bien
cette image, cela me rappelle mon enfance. Il ne faut pas oublier la
solidarité.»
Le procès d'un Tunisien au
Tribunal pénal a débuté mardi matin. Il a tué sa femme en 2010 mais se
présente comme un laïc, tolérant et attaché aux droits de l'Homme.
«Pourquoi aurait-elle besoin d'un amant, j'assumais mes devoirs
conjugaux?» L'ancien comptable de l'ambassade de Tunisie meurtrier de
son épouse en avril 2010 à Fribourg, discourt sans fin depuis mardi
devant la Cour. «Qu'elle repose en paix», exprime souvent cet homme de
47 ans qui se décrit comme «socialiste, laïc, sentimental, pas jaloux,
et respectueux des droits de l'Homme. J'étais considéré comme un sage.»
Cela ne l'a pas empêché pas de violer sa femme, puis d'uriner sur elle.
L'accusé,
qui se croyait suivi par la police du président dictateur tunisien de
l'époque, agissait aussi en tyran avec sa femme, interdite de sorties.
Il déclare qu'elle était menacée d'enlèvement pour être revendue. Il
suivait ainsi souvent celle dont il était désormais séparé, «un ange,
une fleur très fragile», de 7 ans sa cadette.
Il l'attache, la poignarde, lui tire dessus puis lui tranche la gorge
Mais
il la décrit aussi comme «malade psychiatrique». C'est pourtant lui qui
l'a bâillonnée et attachée au pied du lit en plein après-midi, tandis
que leurs deux fillettes étaient dans l'appartement du quartier du
Schönberg, en ville de Fribourg. Puis, il l'a frappée de 15 coups de
couteau dans le dos avant de lui tirer dans le visage avec un pistolet
soft-air: une bille est demeurée dans la lèvre de la victime. Il l'a
encore étranglée, avant de lui trancher la gorge. Le prévenu a dormi à
côté du cadavre et a expliqué à ses adolescentes que leur mère était
partie, puis qu'elle était hospitalisée. Sans travail , buveur, celui
qui se faisait appeler David prétend tout expliquer: «Une rupture, ce
n'était pas la fin du monde, mais je devais savoir pourquoi.» Il l
'accusait également de ne pas s'occuper de ses enfants et de ne pas
savoir faire le couscous. Elle les nourrissait mal et rentrait tard,
ajoute-t-il.
Le procès se poursuit au Tribunal du district de la Sarine.
"La Communauté Tunisienne Résidente en Suisse (CTRS) : Tour d'horizon"
Rapport sur l'étude sociodémographique de la CTRS mandatée par la direction du développement et de la coopération suisse dans le cadre de l'élaboration du projet CTRS.
Interview Le chef de la police judiciaire lausannoise analyse l’explosion des délits commis par des Maghrébins.
A la tête des enquêteurs de la police municipale de Lausanne depuis
novembre 2011, le capitaine Jean-Luc Gremaud est aussi un expert de
l’identité judiciaire reconnu sur le plan international. Il mène la
lutte contre une petite délinquance qui a explosé depuis le Printemps
arabe. L’an dernier, 2500 Tunisiens ont demandé l’asile dans notre pays.
Déboutés ou en attente d’une réponse, une partie d’entre eux s’adonnent
au vol et au trafic de drogue. A Lausanne, les petits délits ont
doublé.
Missions à l’étranger
La spécialité du capitaine Jean-Luc Gremaud, 49 ans, c’est
l’identification des personnes décédées. C’était le sujet de la thèse de
doctorat qui a couronné ses études à l’Ecole des sciences criminelles
de l’Université de Lausanne. Il a ensuite dirigé l’Identité judiciaire
de la police cantonale valaisanne. Et il a participé à des missions à
l’étranger. Il s’est ainsi rendu au Kosovo en 1999 dans le cadre du
mandat de procureure générale du Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie (TPIY) confié à Carla Del Ponte. Il a participé à la
création en 2001 de l’équipe suisse d’identification des victimes de
catastrophes (Disaster Victim Identification, DVI), avec laquelle il est
parti en Thaïlande à la suite du tsunami du 26 décembre 2004. Il a
aussi été appelé à travailler sur l’accident de car qui a fait 28 morts
le 13 mars dernier à Sierre (VS).
Jean-Luc Gremaud a observé depuis deux ans une explosion de la petite
délinquance, attribuée pour une grande part aux Maghrébins.
Image: JEAN-PAUL GUINNARD
On parle toujours de «Maghrébins», mais a-t-on une idée plus précise des nationalités de ces petits délinquants?
- Les Tunisiens sont clairement surreprésentés. Si on considère le
trafic de stupéfiants, 80% des délinquants arrivés ici après le
Printemps arabe proviennent de Tunisie. On compte ensuite 8% d’Algériens
et 4% de Libyens. Les Egyptiens sont faiblement présents. Le nombre de
demandes d’asile déposées par des Syriens est en croissance, mais cela
ne se traduit pas par une augmentation des délits. Nous sommes prudents
avec ces chiffres. En effet, il nous est difficile de vérifier l’origine
réelle de ces personnes. Comme il n’existe pas d’accord de réadmission
ni de protocole de renvoi entre la Suisse et la Tunisie, certains ont
intérêt à se présenter comme Tunisiens pour éviter un retour forcé dans
leur vrai pays.
On entend parfois dire qu’une partie d’entre eux étaient des prisonniers de droit commun évadés dans leur pays. Est-ce vrai?
- Il est difficile de connaître leur parcours. La plupart ont un
objectif clair: se faire de l’argent. Je dirais que cette population se
répartit entre une minorité, d’un côté, qui menait une existence modèle
dans le pays d’origine; à l’autre extrémité, on trouve une autre
minorité formée de délinquants qui ont probablement passé quelques
années en prison; et au milieu, une majorité qui a choisi de commettre
des petits délits pour gagner de l’argent. Ce ne sont pas des criminels
de haut vol, mais plutôt des touche-à-tout. Leur habileté et la facilité
avec laquelle ils décident d’enfreindre la loi montrent qu’ils ne sont
pas des débutants.
Ont-ils l’image d’une Suisse peu sévère sur le plan pénal?
- Oui, ils le savent. Ils évaluent le rapport entre les risques encourus
et les avantages souhaités. Ils veulent obtenir de l’argent et
acceptent, comme prix à payer, de passer quelques heures, voire quelques
jours, dans des geôles suisses. Dans notre pays, ce rapport est à leur
avantage. Ils commettent des petits délits qui pourrissent la vie des
citoyens mais qui restent des actes de peu de gravité d’un point de vue
pénal. Cela leur vaut quelques ennuis qu’ils sont prêts à assumer. Sur
un plan plus local, je constate que Lausanne est confrontée à des
phénomènes urbains spécifiques, mais avec des procédures extrêmement
lourdes imposées par le canton. De ce fait, Lausanne fait face à des
problèmes comparables à ceux de Genève, par exemple, mais avec des armes
bien moins efficaces.
Combien de ces Maghrébins avez-vous arrêtés, et pour quels délits?
- Dans les six premiers mois de 2012, nous avons interpellé
475 personnes originaires du Maghreb. Ce sont principalement des hommes
âgés de 20 à 30 ans. Dans le classement des délits, les infractions à la
loi sur les étrangers se trouvent en première position: ils sont dans
une situation irrégulière. Ensuite viennent les vols, notamment les vols
par effraction dans les véhicules, et le trafic de drogue. On observe
un glissement vers les cambriolages d’appartements et de commerces. Ce
sont des délinquants polyvalents.
Quel est leur impact sur l’évolution de la petite délinquance?
- On a observé une véritable explosion entre 2010 et 2011, notamment
pour les vols à l’arraché (+198%), les vols avec effraction dans les
véhicules (+68%), les vols à la tire et à l’astuce (+83%). 3382 cas ont
été comptés pour ces trois domaines en 2011, soit un accroissement de
1514. En 2012, cette situation s’est encore accentuée. On peut attribuer
une très grande partie de cette petite délinquance aux Maghrébins.
Entrent-ils en concurrence avec d’autres groupes ethniques?
- A Lausanne, nous avions réussi à juguler le rôle des Albanais dans le
trafic d’héroïne. Ce marché a été repris par les Maghrébins. Ils
achètent le produit aux Albanais de Genève et le coupent avant de le
revendre. Sur le front de la cocaïne, on peut parler d’une sorte
d’accord tacite avec les Africains de l’Ouest. Mais on voit apparaître
des tensions, par exemple dans le secteur de Bel-Air, qui nous
inquiètent car elles se durcissent. Elles sont dues à la concurrence sur
le produit ou à l’occupation du territoire.
Ces délinquants peuvent-ils se montrer violents?
- Si on parle des vols de collier commis sur des passantes, forcément,
c’est un acte violent, puisqu’il faut soit trancher l’objet, soit
l’arracher, ce qui peut provoquer des blessures. Mais, d’une manière
générale, il serait incorrect de considérer que les Maghrébins sont plus
agressifs que les autres délinquants. On observe actuellement une
dérive. Certains ne se contentent plus de vendre des stupéfiants. Ils
exercent une contrainte sur des toxicomanes qui, en échange d’une dose,
doivent eux-mêmes vendre de la drogue puis leur remettre la recette.
Les aides au retour, comme le «plan Maghreb» genevois doté de 4000 fr., sont-elles efficaces?
- D’une manière générale, ce type d’aide pose un problème. Elle
s’adresse à des gens en partie venus en Suisse pour gagner de l’argent
de manière délictueuse. Et on leur propose de rentrer volontairement.
Vous imaginez l’impact que cela peut avoir. Une telle aide au retour
revient à contrarier leurs plans.
La police intervient au nord
de la place de la Riponne, les délinquants se déplacent au sud. Après
une interpellation, la libération suit rapidement. Votre travail est-il
utile?
- Un cas est un cas, un lésé est un lésé. Si on peut retrouver l’auteur
d’un délit, c’est notre mission. S’il s’agit d’une goutte d’eau dans un
océan, j’en prends acte, mais, face au lésé concerné, je suis satisfait.
Le tsunami de 2004 en Asie a provoqué la mort de 230 000 personnes.
Quand je suis parti là-bas pour participer à l’identification des corps,
je savais que nous n’identifierions peut-être que 5% des victimes. Mais
si on se met à la place de quelqu’un dont on vient d’identifier un
proche, notre action prend une autre dimension.
Une situation inextricable
Karim
se trouve en Suisse depuis un an. Dans sa vie antérieure, cet homme de
35 ans vivait chichement de la pêche dans le sud de la Tunisie, à
Kerkena. Il a traversé la Méditerranée sur un bateau chargé de 16
compatriotes qui a failli chavirer à cause d’une tempête. Karim a
débarqué à Lampedusa, l’île italienne aux premières loges de
l’immigration venue d’Afrique. «J’ai ensuite passé six mois en Italie
dans un centre. Puis ils m’ont libéré et je suis venu en Suisse par
Chiasso. J’ai demandé l’asile à deux reprises, ça a été refusé et j’ai
été refoulé en Italie. Je suis revenu en Suisse où je vis maintenant
dans la clandestinité», raconte-t-il.
Comment vit Karim? «Je me
débrouille. On est obligés de faire des conneries pour s’en sortir.» Il
admet avoir fait du trafic de marijuana. Et aussi avoir pratiqué le vol à
l’étalage quand il n’avait pas de quoi s’acheter des produits de
toilette. «Mais c’est fini, tout ça», affirme-t-il. L’avenir? «Pour le
moment, je ne sais pas», répond-il. Et l’aide au retour? La
Confédération a mis sur pied un programme destiné aux Tunisiens,
applicable du 15 juillet 2012 au 30 juin 2013. Karim s’est renseigné.
Mais, assure-t-il, l’appui est insuffisant: «J’ai demandé 10 000 fr.
pour que je puisse acheter une barque. On m’a parlé de 4000 fr. Mais
avec cette somme, il n’est pas possible de lancer un projet et vivre
correctement. Le niveau de vie est plus élevé. Après la révolution, les
prix des matières premières de base ont flambé.»
Dans le canton
de Vaud, personne n’a encore bénéficié de ce programme. Aux côtés de
Karim, Fathi Othmani, membre du bureau exécutif de la Communauté
tunisienne en Suisse, tente d’apporter son aide et sert d’interprète.
Installé depuis de nombreuses années dans notre pays, enseignant à
Lausanne, il fait un constat désabusé: «Je comprends les habitants
agacés par cette petite délinquance. C’est une situation absurde, qu’il
faudrait résoudre au niveau européen. Ces jeunes Tunisiens sont sans
solution. Et toute la communauté tunisienne, même ceux qui sont intégrés
depuis des années, est stigmatisée». (24 heures)
Mondher Kilani est anthropologue et professeur honoraire à l’Université
de Lausanne. Il a publié cet automne «Tunisie, carnets d’une
révolution»*. D’après lui, la Tunisie a bénéficié dans sa transition
d’un avantage exceptionnel, celui d’avoir de tout temps existé en tant
qu’unité politique pertinente
Le Temps: La nouvelle Constitution a réduit les prérogatives présidentielles. Cette campagne a pourtant cristallisé les passions.
Mondher Kilani: Les
Tunisiens sont un peu empruntés dans cette élection, car ils n’ont pas
envie de revivre la figure de l’homme fort ou du sauveur qui a prévalu
pendant des décennies. Or l’un et l’autre des candidats jouent de cette
figure. Béji Caïd Essebsi se présente comme celui qui va remettre le
pays sur des rails et Moncef Marzouki comme celui qui va sauver la
révolution. Ils apparaissent tous deux comme des personnalités de
circonstance. Le deuxième tour a été source de crispation car chacun a
peur que le candidat de l’autre passe. D’autant plus que les autres
partis n’ont pas choisi. Ennahda n’a ainsi donné aucune consigne claire à
ses partisans. Cela montre que la société tunisienne est plus complexe
que l’idée qu’on s’en fait.
– Ces derniers mois,
elle est surtout apparue tiraillée entre les islamistes et les
modernistes. Cette bipolarité a-t-elle émergé dans la révolution ou
a-t-elle toujours existé?
– On a tendance à simplifier,
en imaginant deux forces opposées. Cette dichotomie s’inscrit dans la
suite de la dictature de Ben Ali, à laquelle on donnait une sorte de
respectabilité démocratique parce qu’elle aurait été le rempart contre
l’islamisme. Mais, si on prend le temps de réfléchir, cette opposition
n’est pas si radicale: le parti islamiste Ennahda et Nidaa Tounes sont
tous deux favorables au libéralisme économique. Sur le plan extérieur,
ils endossent des positions pro-occidentales. Ils pourraient s’entendre,
et d’ailleurs ils ont esquissé la possibilité de travailler ensemble.
Ils sont parvenus à un accord à l’Assemblée nationale en nommant un
président issu de Nidaa Tounes et un vice-président d’Ennahda. En
Tunisie, les arrangements sont possibles sur la scène politique. Le pays
ne fonctionne pas sur l’exclusion a priori de l’autre, c’est sans doute
ce qui l’a sauvé institutionnellement.
– Où se situent alors les zones de fractures?
–
Elles se retrouvent dans les référentiels historiques. Les modernistes
se réfèrent plutôt à l’imaginaire nationaliste fondé par Bourguiba dans
la suite du courant moderniste apparu au XIXe siècle. Ils insistent sur
une forme de «tunisianité», empruntent au courant intellectuel et aux
figures syndicales. Le référentiel des islamistes est religieux. Ils
sont plus internationalistes, puisqu’ils vont puiser des références à
l’étranger. Mais ces islamistes ne sont pas une génération spontanée.
Ils sont Tunisiens avant tout. Ce n’est que parce qu’ils n’avaient
jamais eu la possibilité de s’exprimer librement qu’on a tout d’un coup
découvert leur existence.
– La Tunisie est en train d’achever sa transition là ou d’autres pays ont échoué. Quel est son atout maître?
–
La force de la société tunisienne est qu’à chaque crise depuis la
révolution, la multitude a su se reconstituer, en dehors des partis et
des clivages. C’est une dynamique très forte qui s’inscrit dans un
passé. La Tunisie a bénéficié d’une situation exceptionnelle: c’est un
pays qui a une certaine profondeur historique. Au temps de Rome et de
Byzance, sous toutes les dynasties musulmanes et l’Empire ottoman, la
conscience d’appartenir à une entité politique pertinente a toujours
existé. Contrairement à la Syrie ou à l’Irak, qui sont des créations des
puissances coloniales après 1920, ou à la Libye, qui n’a jamais été
qu’un patchwork.
– La révolution tunisienne a d’abord été
celle des jeunes. Or, ils n’ont pas pris la relève sur le plan
politique. Comment l’expliquer?
– Ils sont
largement majoritaires sur le plan démographique et ce sont eux qui ont
été à l’origine de la constitution de la multitude: les jeunes, les
chômeurs, les pauvres, rejoints par les classes moyennes. Tous ont
convergé vers un même but: recouvrer une dignité. Dans le bouillonnement
du début, on pensait que les jeunes parviendraient à occuper tous les
espaces dans une sorte de démocratie participative. Mais les portes leur
sont restées fermées, car assez rapidement le jeu institutionnel a
repris le dessus. L’obsession de la transition s’est imposée, il fallait
retrouver vite des institutions, ce qui a balayé les autres
préoccupations de type révolutionnaire. Les jeunes n’ont pas disparu,
les plus chanceux se sont investis dans la création, dans l’art. Mais
pour les autres, c’est le désenchantement, et ce n’est pas pour rien que
le mouvement migratoire a flambé. Les problèmes de fond n’ont pas été
réglés.
* Tunisie, carnets d’une révolution, Editions Petra, 2014, Paris.
Les principaux livres du professeur d’anthropologie à l’Université de Lausanne
Mondher Kilani
Mondher Kilani est né en Tunisie et y a grandi
jusqu’à l’âge de 19 ans, avant de séjourner en France puis de s’établir
en Suisse. Il a été professeur à la Faculté des sciences sociales et
politiques de l’Université de Lausanne jusqu’en 2013. Il est notamment
l’auteur d’une fameuse Introduction à l’anthropologie (Lausanne, Payot, 368 p.) pour les étudiants.
Voici ses principaux autres titres:
Anthropologie. Du local au global, Armand Colin, 2009
Guerre et Sacrifice. La violence extrême, P.U.F., 2006
L’Universalisme américain et les Banlieues de l’humanité, Lausanne, Payot, 2002
L’Invention de l’Autre. Essais sur le discours anthropologique, Lausanne, Payot, 2000
La Construction de la mémoire, Labor & Fides, 1992
Les Cultes du cargo mélanésiens. Mythe et rationalité en anthropologie, Editions d’en bas, 1983
En Suisse, les immigrés viennent
régulièrement en tête des préoccupations des responsables politiques,
des citoyens et des médias. Lesquels en donnent une image souvent
négative, sans trop s’arrêter aux causes, ni au contexte historique.
L’éclairage d’un écrivain et médiateur d’origine tunisienne, établi ici
depuis près d’un demi-siècle.
Né en Tunisie en 1958, Omar Ben Hamida
est arrivé en Suisse à l’âge de 12 ans. Formé au commerce et à
l’informatique, il a travaillé chez IBM, à la banque UBS et chez
l’assureur Swiss Re avant de se lancer en solo comme écrivain, éditeur
et médiateur culturel. Naturalisé et marié à une Suissesse, qui anime
avec lui les éditions et une fondation au profit de l’éducation en
Tunisie, il est père de deux enfants.
swissinfo.ch:
Comment évaluez-vous le traitement que la Suisse et de l’Europe, en
général, réservent aux immigrés et aux demandeurs d’asile depuis
quelques années?
Omar Ben Hamida: La Suisse et l’Europe,
en général, ont très bien agi vis-à-vis des immigrés, en particulier
ceux en provenance du monde arabe et musulman. Elles leur ont offert ce
qu’ils ne pouvaient même pas avoir dans des pays musulmans riches. En
effet, le Royaume d’Arabie Saoudite par exemple n’a apparemment
accueilli sur son territoire aucun réfugié yéménite, ni syrien, ni
irakien. Si on considère sa position, sa superficie et le nombre de ses
habitants, on peut affirmer que la Suisse a davantage honoré son devoir
humanitaire. Surtout si l’on se souvient que plus de 20% de ses
habitants sont des étrangers.
swissinfo.ch:Il
y a quelques mois, une partie des politiques suisses a appelé à la
fermeture des frontières face à l’afflux des réfugiés. Cela trahit-il
une rupture dans la tradition d’accueil que vous évoquez?
O.B.H.:
C’est que de nombreuses données ont changé. Tout d’abord, les étrangers
venus en Suisse dans les années cinquante et soixante étaient tous
d’origine européenne et de confession chrétienne. Et déjà pendant cette
période, lorsque le nombre d’Allemands, d’Italiens ou de Portugais
devenait important, les Suisses réagissaient.
Mais par la suite,
avec les immigrés arabes, turcs et albanais au début des années huitante
et nonante, est arrivée une nouvelle religion sur le territoire suisse:
l’Islam, avec des traditions et des cultures nouvelles. Le regard des
Suisses sur l’étranger a changé. Puis le climat mondial, la
multiplication des conflits armés, de la violence et du terrorisme ont
aggravé une certaine perception négative.
Or cette image est
fausse. Si les étrangers quittent la Suisse, les rouages de la vie
s’arrêtent. Qui a construit les villes et qui les nettoie? Qui a bâti
les routes, les tunnels et les ponts? Les étrangers, bien sûr. Ce pays
ne peut en aucun cas assurer le fonctionnement de son système et
garantir la préservation de son bien-être, ni maintenant, ni plus tard,
sans les ingénieurs informaticiens indiens par exemple. Les hauts
dirigeants des banques et des entreprises viennent d’Allemagne, des
États-Unis, et d’ailleurs. Si les infirmiers et les médecins venus du
Moyen-Orient et d’Asie quittaient le pays, le secteur de la santé serait
fortement perturbé. La population suisse oublie parfois cette réalité.
Les médias, au lieu de la présenter, montrent uniquement les problèmes
et les aspects négatifs.
Arrivé enfant dans un village d'Appenzell Rhodes-Extérieures, Omar Ben Hamida vit et travaille aujourd'hui à Zurich.
(zvg)
swissinfo.ch: On dit souvent que les étrangers ne font
pas assez d’efforts pour s’intégrer dans leur nouvel environnement. Le
problème de l’intégration s’est-il posé, à l’époque, aux immigrés
italiens, tel qu’il se pose actuellement aux Albanais, aux Arabes et aux
Turcs?
O.B.H.: En réalité, il n’y a pas de grand
changement à ce sujet. Dans les années soixante et septante, je me
souviens personnellement, comment les Italiens vivaient dans des
ghettos, travaillaient du matin jusque tard dans la nuit, rentraient le
soir dans leurs foyers ou se fréquentaient entre eux. J’ai des amis
italiens qui vivent à Zurich depuis plus de cinquante ans et qui ne
parlent toujours pas allemand.
L’intégration pour moi commence par
la langue, c’est le premier outil de compréhension de ce qui se passe
autour de nous. Ensuite, l’intégration est un processus complexe. Au
début, l’État suisse lui-même ne l’encourageait pas. Mais, la situation a
totalement changé. Aujourd’hui, nous avons dans chaque canton et dans
chaque ville un bureau gouvernemental chargé d’aider les étrangers à
participer à la vie publique, en plus des diverses opportunités offertes
pour l’apprentissage des langues nationales.
Il faut aussi voir
qu’à l’époque, l’idée des immigrés italiens, portugais ou français,
était «je travaille cinq ans, je me construis une maison dans mon pays
et je quitte la Suisse». C’est exactement ce qu’il s’est passé avec les
Magrébins en France après la Deuxième Guerre mondiale. Donc, ces
immigrés n’avaient pas envie d’apprendre les langues du pays de
résidence, ni de comprendre les spécificités de la société suisse.
Toutefois, après les premières années, dès que l’on a des enfants qui
vont à l’école, cette illusion du retour se dissipe. Les Italiens sont
restés en Suisse jusqu’à la retraite, et même au-delà, aussi parce que
la réalité en Italie avait changé.
Qui sont les 2 millions d'étrangers en Suisse?
Ce graphique montre le continent (anneau
intérieur) et la nationalité (anneau extérieur) d'origine des 2 millions
d'étrangers en Suisse en 2016.
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swissinfo.ch:Quelle est alors la véritable signification de l’intégration?
O.B.H.:
C’est une forme de vie entre deux mondes. Votre monde premier,
d’origine, que vous ne pouvez en aucun cas oublier, et le nouveau monde.
L’intégration dans ce dernier signifie que vous devez respecter ses
traditions, vous conformer à ses lois et parler sa langue. Le succès du
processus passe par l’établissement d’une harmonie entre votre culture
d’origine et celle de votre nouveau pays.
Dans la réalité, la
Suisse n’empêche pas l’étranger de préserver ses traditions et tolère la
pratique de ses convictions religieuses. Par exemple, dans les années
soixante, il n’y avait que trois mosquées dans le pays, contre des
centaines actuellement. La loi suisse permet également la création
d’associations civiles et religieuses. Dans les années septante, il
n’était guère possible de trouver des magasins d’alimentation arabe, ni
halal, tandis qu’aujourd’hui, on en trouve dans pratiquement toutes les
villes. L’État suisse a autorisé les étrangers à créer une copie de leur
monde d’origine.
swissinfo.ch: On a vu récemment pas mal
de conflits autour des signes religieux, du foulard, des cours de
natation ou des salutations à l’école. Si les musulmans ne comprennent
pas que ce qui leur paraît normal est perçu ici comme illégitime, n’est
est-ce pas simplement par méconnaissance de l’histoire locale?
O.B.H.:
Effectivement, c’est la source des problèmes. Quelle est la place de la
religion dans la société? Cette question s’est posée à la Suisse il y a
150 ans. Lorsque vous prenez part à une discussion qui a commencé
depuis 5 minutes, il vous est déjà difficile de rattraper ce que vous
avez raté. Alors imaginez un retard d’un siècle et demi… Ce que nous
n’arrivons pas à comprendre en tant que musulmans, c’est cette
séparation entre la religion, vue comme question personnelle, voire
familiale, et la loi, qui régit l’ordre public dans les lieux publics.
L’Europe n’est parvenue à cette équation équilibrée qu’après de longues
guerres, qui ont fait des millions de morts.
Aujourd’hui, la
règle, c’est «la religion à l’église et à la maison et la loi dans le
domaine public». La plupart des tensions actuelles entre les immigrants
musulmans et la société locale trouve là son origine profonde.
Prenez
par exemple la pratique de la natation pour les filles dans les écoles.
Les musulmans demandent une exemption à cause du refus de la mixité,
mais la loi suisse, et la société ayant voulu cette loi, estiment que la
natation est une discipline éducative obligatoire. De même, certains
musulmans exigent le bannissement du signe de la croix dans les classes,
alors qu’ils ne sont pas majoritaires dans cette société.
Ceci
soulève une autre problématique: pour la première fois, ces musulmans se
retrouvent en minorité, à vivre dans une société à majorité non
musulmane. C’est ce qu’ils n’arrivent pas à digérer. Je me demande ce
qu’il en serait si un chrétien résidant en Arabie Saoudite avait des
revendications similaires à celles des musulmans en Occident. Si cela
arrivait, la réaction serait beaucoup plus violente que celle des
Suisses.
swissinfo.ch: Quelle serait selon vous l’équation magique pour une intégration réussie?
O.B.H.:
C’est un objectif très difficile à réaliser. Chaque individu qui
souhaite vivre en Suisse doit conserver une moitié de lui pour ses
origines et l’autre moitié, il doit la puiser dans son nouvel
environnement. Si l’immigré n’est pas capable de se plier à des
compromis, il ne réussira jamais son intégration. Celui qui veut vivre
en Suisse comme s’il continuait à vivre dans son pays d’origine doit
retourner d’où il vient. Ce serait probablement mieux pour lui et pour
ses enfants.
Dans le cadre de la Semaine suisse des Religions, le Groupe interreligieux et interculturel de la Gruyère
(GIIG) avait invité, vendredi soir 10 novembre, Martine Brunschwig
Graf, présidente de la Commission fédérale contre le racisme (CFR), et
Montassar BenMrad, président de la Fédération d’organisations islamiques
de Suisse (FOIS) et vice-président du Conseil suisse des Religions (SCR).
Depuis l’attentat sanglant du 7 janvier 2015 contre l’hebdomadaire
satirique “Charlie Hebdo” et les nombreuses attaques djihadistes dans
les rues de Paris, Nice, Londres, Berlin, Barcelone ou Bruxelles,
l’image des musulmans d’Europe s’est fortement dégradée. Prônant le
dialogue et l’interconnaissance, le GIIG
estime que la peur de l’autre provient essentiellement de l’ignorance
et du manque de connaissance mutuelle. Des études montrent aussi que,
par rapport à d’autres religions, l’islam est surexposé dans les médias.
“Construire le vivre ensemble, dans la diversité des croyances”
Une bonne soixantaine de personnes, venues de tout le canton, mais
aussi de plus loin, s’étaient donné rendez-vous aux Halles de Bulle pour
échanger avec les deux invités sur le thème “Diversités des croyances:
construire le vivre ensemble”. Au cours d’un débat de très bonne tenue,
arbitré par Serge Gumy, rédacteur en chef du quotidien La Liberté,
quelques remarques ont fusé des rangs du public, montrant qu’en matière
de présence musulmane dans le pays, le climat reste tendu.
En Suisse, on compte dix religions principales et 190 nationalités
vivent sur son territoire. Le pays vit ensemble avec toute cette
diversité, même si un sondage a montré que plus d’un tiers des personnes
interrogées déclarent être dérangées par ceux qui sont différents, a
relevé la présidente de la CFR.
A l’époque des initiatives xénophobes des années 1970 – les fameuses
initiatives Schwarzenbach – qui vont exacerber les tensions face aux
étrangers – c’étaient les travailleurs italiens qui étaient visés. “Il y
avait déjà des discours de haine, des gens engagés contre ces
initiatives ont reçu des menaces de mort…”
Les musulmans dans le collimateur
Aujourd’hui, outre les gens du voyage, les Roms, les Yéniches, sans
parler des personnes de couleurs, ce sont les musulmans qui sont dans le
collimateur. Le rejet de l’islam est en forte augmentation. Selon un
sondage paru fin août dans la presse alémanique, quelque 38% des Suisses
disent se sentir menacés par les musulmans de Suisse. La peur de
l’islam a plus que doublé au cours des treize dernières années.
“Le lien entre musulmans et terrorisme est omniprésent sur les
réseaux sociaux, sur Facebook, les blogs des journaux”, déplore Martine
Brunschwig Graf, membre du Parti libéral-radical, ancienne conseillère
nationale et conseillère d’Etat genevoise, par ailleurs présidente de la
Fondation pour l’enseignement du judaïsme à l’Université de Lausanne.
“C’est la Suisse qui accueille le mieux les musulmans”
Engagé depuis plus de deux décennies dans le travail associatif et
dans le dialogue interreligieux – il a été cofondateur de la Maison du
dialogue de l’Arzillier, à Lausanne en 1998, et du Groupe musulmans et
chrétiens pour le dialogue et l’amitié en 2001- le Vaudois Montassar
BenMrad est à la tête de près de 200 associations musulmanes dans les
quatre régions linguistiques de la Suisse.
S’il admet que l’on vit une période de tension en ce qui concerne la
présence musulmane, il affirme, en comparaison notamment avec la France,
que “c’est la Suisse qui accueille le mieux les musulmans, on favorise
l’intégration…”
La situation s’est dégradée entre 2009 et 2017
Citant une étude de l’Université de Zurich sur des articles parus
dans les médias, l’expert en informatique d’origine tunisienne, haut
cadre dans une multinationale, affirme que la situation s’est beaucoup
dégradée entre 2009 et 2017. “La plupart des articles montrent désormais
de la distance par rapport aux musulmans, et ceux qui marquent de
l’empathie ont fortement diminué”, regrette le scientifique, qui a
obtenu son doctorat à l’EPFL en 1994.
Et de déplorer, en citant l’UDC et le PDC, que des partis politiques
utilisent la question de l’islam et des musulmans à des fins purement
politiques. Il estime “dommageable” que le PDC marche désormais sur les
plates-bandes de la formation nationaliste conservatrice. Gerhard
Pfister, président du PDC, s’est en effet récemment déclaré dans la
presse fermement opposé à une reconnaissance de l’islam. Le président de
la FOIS souligne cependant que cette attitude négative envers l’islam
se rencontre avant tout dans le PDC de Suisse alémanique.
Les mantras de l’UDC
Quant à l’UDC, lors de son assemblée des délégués du 28 octobre
dernier à Frauenfeld (TG), elle a une nouvelle fois déclaré qu'”une
reconnaissance de droit public de l’islam ou une formation étatisée
d’imams est hors de question”, arguant que “nous devons vivre selon nos
valeurs chrétiennes”.
Ainsi, peut-on lire pêle-mêle sur le site internet du premier parti
de Suisse: “L’activité pastorale des imams dans les prisons et à l’armée
doit cesser […] Les imams peuvent être remplacés par des psychologues
de l’armée ou des prisons […] Jusqu’à nouvel avis, les activités des
imams doivent être surveillées dans toute la Suisse […] La viande halal,
la dissimulation du visage etc. ne doivent pas être tolérées dans les
lieux publics comme les écoles, les prisons, les hôpitaux ou dans
l’armée”.
Primauté de l’Etat de droit et de la législation commune
Se déclarant, comme tout citoyen suisse, ferme partisan de l’Etat de
droit et du respect de la législation de son pays, Montassar BenMrad se
dit que lui et la FOIS sont tout autant intéressés à traiter les risques
de dérives islamiques. Il partage la position de Martine Brunschwig
Graf, pour qui l’Etat de droit et la loi commune en Suisse priment en
tous les cas sur les préceptes de la loi religieuse, ajoutant que “les
gens qui sont ici peuvent exercer leur religion en toute liberté, pour
autant qu’ils respectent les règles de l’Etat de droit”. La politicienne
genevoise, née à Fribourg, a rappelé par ailleurs que, dans le passé,
les Eglises chrétiennes ont aussi connu des dérives.
Le représentant musulman se déclare en faveur de la reconnaissance de
sa communauté au niveau cantonal – il y a des démarches dans ce sens,
notamment dans les cantons de Vaud et Neuchâtel -, considérant que le
processus de reconnaissance forcera les communautés musulmanes à se
structurer. “Elles devront faire des efforts pour se fédérer. Il y aura
plus de transparence, les livres de comptes seront ouverts…”
Le Centre Suisse Islam et Société
S’il salue le travail fourni par le Centre Suisse Islam et Société
(CSIS) de l’Université de Fribourg, il rappelle que cette formation
universitaire n’est pas un enseignement théologique. Ce sont les
communautés locales qui sont responsables d’engager un imam. Dans le cas
de l’imam radicalisé de la mosquée An’Nur de Winterthur, “il y a eu un
gros dérapage, l’imam n’était pas formé, il était incompétent”. Le
président de la FOIS souligne qu’en principe les imams ont suivi une
formation universitaire, “mais de toute façon, il doit y avoir un
contrôle de qualité des imams”.
Le président de la FOIS concède que beaucoup trop d’entre eux sont
autodidactes, sans diplôme, et certains alimentent leur prêche avec les
réseaux sociaux, où l’on trouve d’innombrables fausses informations sur
l’islam. “Quand les communautés ont la capacité financière de payer le
salaire d’un imam, un professionnel formé, il y a davantage de filtres!”
Haro sur Blancho
Interrogé sur l’image négative de l’islam propagé par le Conseil
central islamique suisse (CCIS), d’obédience salafiste, Montassar
BenMrad estime que ce groupe ne compte que 42 membres actifs, avec,
peut-être, tout au plus 2 à 3’000 sympathisants, soit moins de 1% des
musulmans de Suisse. Tout comme sur l’autre bord Saïda Keller-Messalhi,
fondatrice et présidente du Forum pour un islam progressiste, “ils
ne représentent qu’eux-mêmes!” Par contre, le CCIS a fait “pas mal de
dégâts” à l’image des musulmans de Suisse, “mais on fait en sorte qu’ils
n’aient aucun accès à nos mosquées”. De toute façon, lance-t-il en
guise de conclusion: “Depuis qu’ils ont des problèmes avec le Ministère
public de la Confédération, ils se sont calmés…” Quant à lui, il veut
faire entendre “la voix du milieu, celle de la modération”. (cath.ch/be)
Martine Brunschwig Graf visée par Vigilance Islam
Peu avant le début des débats, la police s’est brièvement montrée aux
Halles. La raison: les menaces – “proches de menaces de mort” – reçues
par Martine Brunschwig Graf dans le cadre du colloque à l’Université de
Fribourg “Hostilité envers les musulmans: société, médias, politique”,
le 11 septembre 2017. Ce débat scientifique était organisé par la CFR,
en partenariat avec le Centre Suisse Islam et Société de l’Université de
Fribourg (CSIS) et le Centre de recherche sur les religions de
l’Université de Lucerne (ZRF). La présidente de la CFR avait été prise
pour cible par un membre de l’association genevoise Vigilance Islam et a porté plainte.
Le Groupe interreligieux et interculturel de la Gruyère
Pour le Groupe interreligieux et interculturel de la Gruyère (GIIG),
la simple coexistence entre les diverses communautés vivant en Suisse
n’est pas suffisante. “Dans un monde globalisé, avec le brassage
grandissant de la population et des cultures différentes, écrit-elle, la
nécessité de vivre ensemble est devenue vitale. Le monde a besoin
d’unité dans l’action des croyants: les valeurs universelles communes
aux différentes croyances ont le pouvoir de nourrir une société qui se
laïcise et s’individualise de plus en plus. Les croyants ont une
responsabilité spirituelle, morale et citoyenne d’ouverture vers
l’autre: ils doivent témoigner ensemble, sans condition ni angélisme, de
l’unité intrinsèque de la famille humaine, en dignité et en droit. Par
le dialogue et les comportements, nous pouvons contribuer à la paix. Nos
différences sont source d’enrichissement pour œuvrer ensemble!” JB
La mosquée Ar'Rahman à Bienne refait parler d'elle. Image: Keystone
Deux femmes de 23 et 35 ans qui fréquentaient la mosquée Ar'Rahman de Bienne se sont engagées pour le djihad.
Deux femmes de la région de Bienne sont parties en Syrie en août 2014
pour rejoindre l'état islamique (dont l’acronyme en langue arabe est
Daech). Elles fréquentaient la mosquée Ar'Rahman, dont un des imams
tenait des prêches haineux, et elles étaient proches de membres du
Conseil central islamique suisse (CCIS), comme l'a découvert l'émission 10vor10 de la télévision alémanique SRF.
L'une
d'elles est issue d'une famille d'origine tunisienne habitant à Nidau,
où réside également l'imam libyen Abu Ramadan qui appelait à la violence
contre des non-musulmans. Elle avait obtenu la nationalité suisse en
2011 mais elle trouvait la mosquée de Bienne pas assez radicale, comme
l'avait raconté l'imam dans les colonnes du Tages-Anzeiger.
Après
la fin de sa scolarité à La Neuveville, elle a rencontré à plusieurs
reprises à Berne Ferah Ulucay, l'actuelle secrétaire générale du CCIS.
Cette dernière affirme avoir tenté de détourner la jeune femme de 23 ans
de son attirance pour l'état islamique en utilisant des arguments du
Coran. La jeune Tunisienne affichait le logo du groupe terroriste sur
son téléphone portable, ajoute 10vor10.
Elles seraient à Raqa
Quant
à l'autre femme, il s'agit d'une convertie de 35 ans, qui était l'amie
de Ferah Ulucay et une membre active du CCIS. La secrétaire générale a
démenti que son organisation avait radicalisé la femme de 35 ans,
mettant plutôt en cause la propagande de l'état islamique. Elle ignorait
tout de ses intentions et de sa volonté de se rendre en Syrie.
Le Ministère publicde
la Confédération a confirmé qu'il avait ouvert une procédure contre les
deux personnes pour infraction à la loi interdisant la participation ou
le soutien à des groupes criminels comme Daech ou Al-Qaïda.
Les
deux femmes se trouvent toujours à l'étranger, leur trace s'arrête à
Raqa, la capitale de l'état islamique actuellement assiégée par une
coalition composée de forces arabes et kurdes. (nxp)
Publié le 23 janvier 2011 par Angélique Mounier-Kuhn
Contraint à quitter son pays en 1991, Anouar Gharbi foulera de nouveau
la terre de ses ancêtres le 29 janvier. L’activiste s’est révélé
incontournable pour suivre la révolution du jasmin, depuis la Suisse.
Depuis quelques semaines, il ne touche plus terre
Il passe un coup de fil contrit, pour prévenir:
impossible de se garer dans les environs de Plainpalais. Avec une bonne
vingtaine de minutes de retard, Anouar Gharbi finit par arriver,
l’oreillette branchée et absorbé par une conversation téléphonique en
arabe. Il tend une poigne ferme, s’assied, tout en abreuvant son
interlocuteur de «chouf, chouf». Il raccroche et prend la précaution
d’éteindre son portable. Nous pouvons enfin faire connaissance.
Anour
Gharbi, coordinateur du Comité de soutien du peuple tunisien
(CSPT-Suisse) ne touche plus terre depuis que l’Histoire a pris un tour
inattendu dans son pays d’origine. Radio, télévision, manifestations, il
est sur tous les fronts. Sa disponibilité et son empressement à
partager à toute heure ses informations de première main en ont fait le
relais incontournable pour suivre, depuis la Suisse, les événements de
Tunisie. «Cela fait trois semaines, je ne dors pas plus de deux ou trois
heures par jour. Il m’arrive de passer des journées sans manger, sans
même me rendre compte que j’ai faim.»
Cela tombe bien. C’est
précisément pour le mettre à table que nous avons souhaité le
rencontrer. Il a choisi l’endroit, Les Savoises, le restaurant-café
«équitable» de la Maison des associations, à Genève, qu’il contribua à
fonder il y a quelques années. En dépit de ses murs orange tapageur et
jaune vif, l’endroit est accueillant, tout comme la serveuse, aimable et
enjouée, qui régente toute seule la salle heureusement clairsemée. Dans
la cuisine ouverte, le maître des lieux vaque à la préparation des
plats. Anouar Gharbi se sustentera d’une salade mêlée au chèvre chaud.
Nous misons sur un pot-au-feu. Pour les accompagner, un jus de pomme et
une eau gazeuse.
Il y a tout juste un mois et un jour, Mohamed
Bouazizi, jeune vendeur ambulant, s’est transformé en torche vivante à
Sidi Bouzid, une localité agricole du cœur de la Tunisie. Depuis ce
geste sacrificiel, l’actualité du pays, où Anouar Gharbi naquit en 1964
dans la région côtière de Chebba, s’est emballée, jusqu’à la chute
rocambolesque, le 14 janvier, de son autocrate de président, Zine
el-Abidine Ben Ali. Demander à Anouar Gharbi comment il a vécu
l’effondrement du régime, c’est s’embarquer pour un périple liant
constamment passé, présent et avenir.
Ces heures épiques lui
rappellent, par leur intensité, ses souvenirs de militant syndicaliste,
diplômé en agronomie, contraint à l’exil. C’était en 1991: «Un jour, on
m’appelle pour me dire qu’une dizaine de policiers sont partis chercher
celle qui allait devenir mon épouse (elle est Suisse par sa mère et
alors professeur d’anglais) parce qu’ils me cherchent moi, sans parvenir
à me trouver.» Quelques semaines auparavant, un autre coup de fil
l’avait informé que son nom figurait dans le journal, au beau milieu
d’une liste de personnes recherchées, islamistes pour la plupart.
Annouar Gharbi se raconte dans le moindre détail. Il en néglige son
assiette et oublie parfois de finir ses phrases. Dans la nôtre, le
pot-au-feu, parfumé mais un peu filandreux, tiédit.
«J’ai été
considéré comme le responsable des relations extérieures d’Ennahda
(ndlr: le parti islamiste interdit dont les membres ont été traqués,
torturés et qui demande aujourd’hui sa légalisation) parce qu’en 1990,
je me suis rendu en Algérie, au Maroc et en Europe de l’Est pour
négocier l’inscription dans les universités d’étudiants tunisiens qui
n’avaient pas pu achever leurs études en raison de leur engagement. Oui,
beaucoup d’entre eux étaient des islamistes», enchaîne le militant. En
dépit du soupçon récurrent que lui a valu par le passé sa proximité avec
Ennadha et certaines fréquentations plus récentes, Anouar Gharbi se
défend de penchants islamistes. Sa barbe? Un bouc stylé, poivre et sel
et taillé de frais. Son rapport à l’Islam? Parfaitement assumé: «Je me
sens très bien avec Dieu. Je suis croyant, pratiquant, mais je suis un
«musulman light». Je travaille trop pour faire me prières à temps. Il
m’arrive, en voyage, de ne pas observer le ramadan». Le cœur à gauche
alors, Anouar Gharbi? «Cela n’a rien strictement rien à voir. Je me sens
proche des opprimés, et j’ai de la sympathie pour tout ce qui est
résistance.»
Etonnant caméléon, cet hyperactif à l’œil sémillant,
père de quatre enfants, menant carrière dans une entreprise
internationale tout en militant, dit-il, au sein d’une quinzaine
d’associations. Droit pour tous est l’une d’entre elles, qu’il préside
et participa activement à l’organisation de la «Flottille de la liberté»
pour Gaza au printemps dernier. Autre fait d’arme, dont Anouar Gharbi
est fier d’évoquer le souvenir: cette visite express de Ben Ali à
Genève, en 1995, qui s’acheva par une brouille diplomatique entre Tunis
et Berne. Invité d’honneur de la Conférence internationale du travail,
le président tunisien avait été copieusement sifflé par des
manifestants, dont l’activiste était le coordinateur. Furieux, Ben Ali
avait rappelé son ambassadeur à Berne.
Entre deux fourchetées
faméliques, Anouar Gharbi relate les deux mois de clandestinité qui ont
précédé son départ de Tunisie il y a vingt ans. Deux décennies pendant
lesquelles il n’a jamais remis les pieds au pays, dont il connaît
pourtant les contours par cœur. Dès le début du repas, il s’est appliqué
à dessiner la Tunisie sur un brouillon pour que l’on suive pas à pas
ses pérégrinations. Rentrer était trop risqué. Sauf à sacrifier sa
liberté d’expression, ce à quoi il s’est toujours refusé. D’ailleurs,
son passeport était en souffrance depuis 1998 à l’ambassade de Tunisie à
Berne, où il avait été déposé pour une demande de renouvellement. De
l’autre côté de la Méditerranée, ses parents ont à peine été mieux
traités. Il leur a fallu des années pour obtenir un passeport; et ils ne
lui ont rendu que deux visites à Genève. «Tu as tout ici. Merci à Dieu,
lui lâche un jour sa mère dans le jardin de sa maison de
Grand-Saconnex. Tu ne manques de rien, mais toi, tu nous manques.» Le
déracinement, assure pourtant Anouar Gharbi, n’a pas été une si
douloureuse expérience: «Bien sûr, lorsque l’on m’envoie des séquences
vidéo de mon village, de mon école, ma gorge se serre. Mais d’un autre
côté, je ne voulais pas donner à Ben Ali le crédit de ma présence.»
L’heure
a tourné: trop tard pour le dessert, un expresso achèvera le repas.
Anouar Gharbi foulera à nouveau la terre de ses ancêtres le 29 janvier,
accompagné d’une délégation de parlementaires et de militants des droits
de l’homme en Suisse. S’il ne laisse pas encore libre cours à sa joie,
«c’est parce le pays est tout entier à construire. Comment participer à
ma manière? C’est la question qui me préoccupe aujourd’hui». Le militant
se voit en «facilitateur», en tisseur de liens. Aussi, s’il s’engage en
politique, «ce sera au sein d’une coalition et non dans un parti».
Imagine-t-il se réinstaller dans la Tunisie affranchie de son despote?
Il n’hésite pas; sa vie est ancrée à Genève. «Je suis devenu citoyen
suisse. Jamais, en vingt ans d’engagements, je n’ai été l’objet de
racisme. J’y suis profondément attaché.» Il aidera donc les Tunisiens à
distance. Pourtant, lorsqu’au moment de se quitter on souligne le
courage prodigieux de ces derniers et leur intelligence politique, il
remercie, ému, touché par le compliment.