mardi 29 mai 2018

Blanchi de viol avec cruauté et indemnisé

Tribunal criminel  

Le procès du Tunisien, jugé depuis lundi à Vevey pour maltraitance extrême sur son épouse ramenée du pays, s’est dégonflé.

Cent vingt jours de prison d’une main, et de l’autre une indemnité de 2000 francs pour le tort moral qu’il a subi dans cette affaire. Cent vingt jours de prison qu’il n’aura pas à purger car il en a déjà subi 121 en préventive, ce qui lui vaut au passage de recevoir 200 francs pour ce jour de trop.

Le procès du ressortissant tunisien à permis C jugé depuis lundi devant le tribunal criminel de Vevey, notamment pour viol avec cruauté et tentative d’interruption de grossesse punissable sur son épouse, s’est lamentablement dégonflé. L’homme niait tout en bloc. N’ont finalement pu être retenues que les menaces qualifiées proférées par ce chauffeur presque quinquagénaire envers sa compatriote affirmant avoir vécu l’enfer durant les quatre mois qu’a duré leur mariage en 2014.
«Un doute irréductible majeur interdit à la Cour de prendre pour vérité les déclarations de la plaignante»
«La cour a acquis la conviction qu’un doute irréductible majeur lui interdisait de prendre pour vérité les déclarations de la plaignante», résume le tribunal, qui a suivi en tout point le raisonnement de Me Gafner au côté du prévenu. Résidant désormais en Tunisie, l’épouse, plus jeune de treize ans que son mari, n’avait pu être entendue par la procureure avant que celle-ci ne renvoie l’affaire devant une cour criminelle tant en raison de la gravité des accusations que du passé pénal du prévenu. Celui-ci avait en effet été condamné en 2000 pour viol avec cruauté perpétré sous la menace d’un couteau. Pour la magistrate, il n’était pas exclu qu’il eût récidivé selon le même schéma.

Longuement interrogée au procès hors la présence de son mari, la plaignante a considérablement modéré des accusations qu’elle avait jusqu’alors formulées uniquement par écrit. Les juges ont balayé celle de viol sous la menace d’un couteau, observant que Madame s’était inspirée du jugement de 2000 dont elle avait eu connaissance avant de déposer sa plainte. Rien n’a permis non plus d’étayer la tentative d’interruption de grossesse, sinon que le mari ne désirait pas cet enfant.

Le tribunal n’a donc pas suivi la procureure Myriam Bourquin, qui avait requis quatre ans fermes, certes en abandonnant elle aussi le viol avec cruauté, mais en considérant que l’accusé était potentiellement dangereux. La magistrate avait par ailleurs demandé en vain son arrestation immédiate. Convaincue de la réalité de toutes les accusations, la partie civile demandait une indemnité de 10'000 francs pour tort moral. (24 heures)

07.03.2017 par Georges-Marie Becherraz

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samedi 26 mai 2018

Enquête sur une arnaque record à l'aide sociale

Justice Un couple prévenu d’escroquerie pour avoir indûment perçu plus de 600'000 francs en dix ans de micmac entre la Suisse et la Tunisie.

L’addition présentée par le Centre social régional de Vevey atteint des sommets. Depuis 2004, en onze ans, un couple et leur fils installés sur la Riviera auraient indûment perçu très exactement 608'675 fr. 90 en revenu d’insertion, prestations complémentaires AVS et subsides d’assurance-maladie. Il leur est reproché d’avoir dissimulé d’importants avoirs et ressources financières.

Le Centre social régional de Vevey réclame 608'676 francs aux prévenus.
Image: CHANTAL DERVEY

 

Monsieur menait sans l’avoir dit plusieurs activités commerciales entre la Suisse et la Tunisie. Notamment dans le secteur de la réparation de voitures, la gestion d’achats et de transferts de fonds ainsi que l’exportation de devises. Pour sa défense, Madame explique n’avoir pas eu connaissance des multiples comptes bancaires au nom de son époux en Tunisie, et que ce dernier la tenait très peu informée de ses occupations. Les deux ont été appréhendés en juil­let dernier, puis incarcérés pour prévenir tout risque de collusion, de transfert de biens en Tunisie ou de destruction d’éléments de preuves.

Affaire compliquée

L’enquête n’est pas terminée, mais le couple a pu récemment retrouver la liberté, dans l’attente de l’issue pénale de cette affaire qui s’annonce compliquée. Il s’agit par exemple de la nécessité de mettre en œuvre une procédure d’entraide judiciaire internationale. De l’ampleur du patrimoine dissimulé, de la manière dont cela a été fait et de la durée de l’arnaque dépend en effet la culpabilité des prévenus, donc la sanction.

Procureur au Ministère public central, l’instance actuellement en charge de toutes les affaires d’abus à l’aide sociale ou au chômage, Sébastien Fetter observe que ces gens se sont montrés plutôt collaborant. «Cela nous a permis de séquestrer environ 450'000 francs», indique le magistrat. Et de souligner tout de même que les montants réclamés ici dépassent de loin la moyenne des situations dénoncées à la justice, lesquelles vont généralement de 5000 fr. à quelques dizaines de milliers de francs.

Inculpés d’escroquerie

Prévenus d’escroquerie par métier, les intéressés risquent jusqu’à 10 ans de prison. De fait, même pour de gros montants, les peines infligées sont généralement d’un tout autre ordre de grandeur. En décembre dernier, un couple avait ainsi écopé à Yverdon de 12 mois avec sursis pour avoir touché sans droit 174'000 francs en cinq ans. Et il y a dix ans, en 2005, à Nyon, pour une addition identique, mais portant sur cinq ans, une femme s’en était tirée avec 18 mois, également avec sursis (24 heures)

Créé: 07.12.2015, 18h06 par Georges-Marie Bécherraz

 

mercredi 23 mai 2018

Anouar Gharbi «J’ai de la sympathie pour la résistance»

Par Barbara Pochinu Carta, Publié jeudi 3 juin 2010

L’un des organisateurs de la flottille est Genevois


Le sol du bureau d’Anouar Gharbi, à la Maison des associations à Genève, est jonché de cartons aux couleurs de la Palestine, de drapeaux et de keffiehs. «J’ai déménagé ce matériel hier», explique ce Suisse d’origine tunisienne, 45 ans, qui préside l’association genevoise Droit pour tous et qui est l’un des trois coordinateurs de la «Campagne européenne pour la fin du siège à Gaza». Ce désordre contraste avec son bureau: ordonné, fonctionnel, il ne contient qu’un ordinateur portable, un téléphone, un crayon. La «Campagne européenne» est l’une des associations à l’origine de la «Flottille de la liberté». Son bateau, le 8000 (en référence au nombre de Palestiniens emprisonnés en Israël), transportait des médicaments, des maisons préfabriquées et du matériel de construction ainsi que des parlementaires et des journalistes de divers pays. Budget de l’opération, achat du navire compris: 3 millions de dollars. «Son financement provient uniquement de dons, explique Anouar Gharbi. Je ne peux pas me résoudre à laisser des gens mourir à petit feu.»

Jeune étudiant, à Tunis, Anouar Gharbi était porte-parole du syndicat de son université avant de fuir son pays, il y a une vingtaine d’années. «Je ne supportais plus de vivre sous une dictature.» Il s’installe alors en Suisse pays dont sa femme possède la nationalité. Là, il se refait une vie. Sa femme travaille comme traductrice pour l’ONU. Lui devient cadre dans une entreprise informatique. Mais il conserve l’«âme d’un syndicaliste». Actif dans le milieu associatif, il est l’un des fondateurs de la Maison des associations.

La «Campagne européenne» a envoyé plus de 500 convois d’aide humanitaire à Gaza: «essentiellement des médicaments, pas des roquettes!» lâche-t-il provocateur. Il y a aussi les convois navals. Depuis cinq ans, seuls quatre bateaux ont réussi à atteindre les côtes de Gaza, trois autres ont été arrêtés en mer et un dernier a été endommagé par l’armée israélienne.

Un syndicaliste objet d’attaque

Durant l’été 2009, Anouar Gharbi s’est rendu à Gaza avec une délégation de parlementaires suisses dont Josef Zisyadis. Là, ils rencontrent Ismaël Haniyeh, l’un des leaders du Hamas. «Je ne regarde pas la religion ou la tendance politique, je suis internationaliste, je ne reçois des ordres de personne», raconte-t-il avant d’ajouter: «Je garde tout de même une distance critique.» De son côté, Josef Zisyadis précise qu’il ne soutient pas le mouvement islamiste et que, sur ce point, «nous avons des divergences» avec Anouar Gharbi.

Le syndicaliste ne craint-il pas d’être instrumentalisé par une organisation que de nombreux Etats qualifient de «terroriste»? «Pour Israël on est tous des terroristes, rétorque-t-il. Je suis du côté de ceux qui défendent leur terre, leur dignité. […] J’ai de la sympathie pour la résistance, que ce soit en Irak, au Venezuela ou en Palestine.» Si on lui rappelle que la charte du Hamas appelle à la destruction d’Israël, l’intéressé riposte: «Connaissez-vous la charte du Likoud, le parti au pouvoir en Israël. Elle stipule l’existence d’un Grand Israël depuis 3000 ans. Il n’y a donc pas de place pour les Palestiniens.»

Anouar Gharbi n’hésite pas à parler de «territoires occupés» à propos du territoire israélien dans ses communiqués appelant à manifester sur la place des Nations à Genève, à Berne ou à Zurich. Ueli Leuenberger, le président des Verts, qui a eu des contacts avec Anouar Gharbi le considère comme «quelqu’un de sérieux, qui réfléchit avant d’agir et n’hésite pas à demander conseil».

Combatif, Anouar Gharbi est également l’objet d’attaques. Ainsi a-t-il été pris à partie par certains médias et milieux antiracistes lorsqu’il a accueilli, en 2008, Azzam Tamimi, un intellectuel palestinien connu pour ses déclarations virulentes contre Israël. Ainsi est-il l’objet d’intimidations de la part des «sbires de Ben Ali». La semaine dernière encore, une voiture noire fonçait sur son scooter alors qu’il quittait sa maison. «Je les connais. Ce n’est pas la première fois, explique-t-il. J’ai déjà déposé plainte pénale auprès de la police fédérale. Pour l’heure elle n’y a pas donné suite.»

Anouar Gharbi est un musulman pratiquant: «Je crois en Dieu c’est tout», précise-t-il. Sur les étagères de sa bibliothèque, il y a plusieurs ouvrages de Tariq Ramadan. «C’est un ami, nous avons milité ensemble pour l’Irak, la Palestine, contre l’islamophobie.» Avant de se quitter, il offre une carte postale représentant des enfants aux abords d’un village de Cisjordanie, drapeaux palestiniens au vent. «J’aime bien cette image, cela me rappelle mon enfance. Il ne faut pas oublier la solidarité.»

dimanche 20 mai 2018

Egorgée par son mari: «Elle faisait mal le couscous»

par Christian Humbert - publié le 1er avril 2014

Le procès d'un Tunisien au Tribunal pénal a débuté mardi matin. Il a tué sa femme en 2010 mais se présente comme un laïc, tolérant et attaché aux droits de l'Homme.




«Pourquoi aurait-elle besoin d'un amant, j'assumais mes devoirs conjugaux?» L'ancien comptable de l'ambassade de Tunisie meurtrier de son épouse en avril 2010 à Fribourg, discourt sans fin depuis mardi devant la Cour. «Qu'elle repose en paix», exprime souvent cet homme de 47 ans qui se décrit comme «socialiste, laïc, sentimental, pas jaloux, et respectueux des droits de l'Homme. J'étais considéré comme un sage.» Cela ne l'a pas empêché pas de violer sa femme, puis d'uriner sur elle.
L'accusé, qui se croyait suivi par la police du président dictateur tunisien de l'époque, agissait aussi en tyran avec sa femme, interdite de sorties. Il déclare qu'elle était menacée d'enlèvement pour être revendue. Il suivait ainsi souvent celle dont il était désormais séparé, «un ange, une fleur très fragile», de 7 ans sa cadette.

Il l'attache, la poignarde, lui tire dessus puis lui tranche la gorge

Mais il la décrit aussi comme «malade psychiatrique». C'est pourtant lui qui l'a bâillonnée et attachée au pied du lit en plein après-midi, tandis que leurs deux fillettes étaient dans l'appartement du quartier du Schönberg, en ville de Fribourg. Puis, il l'a frappée de 15 coups de couteau dans le dos avant de lui tirer dans le visage avec un pistolet soft-air: une bille est demeurée dans la lèvre de la victime. Il l'a encore étranglée, avant de lui trancher la gorge. Le prévenu a dormi à côté du cadavre et a expliqué à ses adolescentes que leur mère était partie, puis qu'elle était hospitalisée. Sans travail , buveur, celui qui se faisait appeler David prétend tout expliquer: «Une rupture, ce n'était pas la fin du monde, mais je devais savoir pourquoi.» Il l 'accusait également de ne pas s'occuper de ses enfants et de ne pas savoir faire le couscous. Elle les nourrissait mal et rentrait tard, ajoute-t-il.

Le procès se poursuit au Tribunal du district de la Sarine.

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jeudi 17 mai 2018

La communauté tunisienne résidente en Suisse : tour d'horizon

"La Communauté Tunisienne Résidente en Suisse (CTRS) : Tour d'horizon"

Rapport sur l'étude sociodémographique de la CTRS mandatée par la direction du développement et de la coopération suisse dans le cadre de l'élaboration du projet CTRS.

Dr. Gabriela Tejada
Sylvia Garcia Delahaye
Centre Coopération et Développement
Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne
Février 2014

lundi 14 mai 2018

«Ces délinquants sont venus pour se faire de l’argent»

Interview Le chef de la police judiciaire lausannoise analyse l’explosion des délits commis par des Maghrébins.

A la tête des enquêteurs de la police municipale de Lausanne depuis novembre 2011, le capitaine Jean-Luc Gremaud est aussi un expert de l’identité judiciaire reconnu sur le plan international. Il mène la lutte contre une petite délinquance qui a explosé depuis le Printemps arabe. L’an dernier, 2500 Tunisiens ont demandé l’asile dans notre pays. Déboutés ou en attente d’une réponse, une partie d’entre eux s’adonnent au vol et au trafic de drogue. A Lausanne, les petits délits ont doublé.

Missions à l’étranger

La spécialité du capitaine Jean-Luc Gremaud, 49 ans, c’est l’identification des personnes décédées. C’était le sujet de la thèse de doctorat qui a couronné ses études à l’Ecole des sciences criminelles de l’Université de Lausanne. Il a ensuite dirigé l’Identité judiciaire de la police cantonale valaisanne. Et il a participé à des missions à l’étranger. Il s’est ainsi rendu au Kosovo en 1999 dans le cadre du mandat de procureure générale du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) confié à Carla Del Ponte. Il a participé à la création en 2001 de l’équipe suisse d’identification des victimes de catastrophes (Disaster Victim Identification, DVI), avec laquelle il est parti en Thaïlande à la suite du tsunami du 26 décembre 2004. Il a aussi été appelé à travailler sur l’accident de car qui a fait 28 morts le 13 mars dernier à Sierre (VS).

Jean-Luc Gremaud a observé depuis deux ans une explosion de la petite délinquance, attribuée pour une grande part aux Maghrébins.
Image: JEAN-PAUL GUINNARD

 

On parle toujours de «Maghrébins», mais a-t-on une idée plus précise des nationalités de ces petits délinquants?

- Les Tunisiens sont clairement surreprésentés. Si on considère le trafic de stupéfiants, 80% des délinquants arrivés ici après le Printemps arabe proviennent de Tunisie. On compte ensuite 8% d’Algériens et 4% de Libyens. Les Egyptiens sont faiblement présents. Le nombre de demandes d’asile déposées par des Syriens est en croissance, mais cela ne se traduit pas par une augmentation des délits. Nous sommes prudents avec ces chiffres. En effet, il nous est difficile de vérifier l’origine réelle de ces personnes. Comme il n’existe pas d’accord de réadmission ni de protocole de renvoi entre la Suisse et la Tunisie, certains ont intérêt à se présenter comme Tunisiens pour éviter un retour forcé dans leur vrai pays.

On entend parfois dire qu’une partie d’entre eux étaient des prisonniers de droit commun évadés dans leur pays. Est-ce vrai?

- Il est difficile de connaître leur parcours. La plupart ont un objectif clair: se faire de l’argent. Je dirais que cette population se répartit entre une minorité, d’un côté, qui menait une existence modèle dans le pays d’origine; à l’autre extrémité, on trouve une autre minorité formée de délinquants qui ont probablement passé quelques années en prison; et au milieu, une majorité qui a choisi de commettre des petits délits pour gagner de l’argent. Ce ne sont pas des criminels de haut vol, mais plutôt des touche-à-tout. Leur habileté et la facilité avec laquelle ils décident d’enfreindre la loi montrent qu’ils ne sont pas des débutants.

Ont-ils l’image d’une Suisse peu sévère sur le plan pénal?

- Oui, ils le savent. Ils évaluent le rapport entre les risques encourus et les avantages souhaités. Ils veulent obtenir de l’argent et acceptent, comme prix à payer, de passer quelques heures, voire quelques jours, dans des geôles suisses. Dans notre pays, ce rapport est à leur avantage. Ils commettent des petits délits qui pourrissent la vie des citoyens mais qui restent des actes de peu de gravité d’un point de vue pénal. Cela leur vaut quelques ennuis qu’ils sont prêts à assumer. Sur un plan plus local, je constate que Lausanne est confrontée à des phénomènes urbains spécifiques, mais avec des procédures extrêmement lourdes imposées par le canton. De ce fait, Lausanne fait face à des problèmes comparables à ceux de Genève, par exemple, mais avec des armes bien moins efficaces.

Combien de ces Maghrébins avez-vous arrêtés, et pour quels délits?

- Dans les six premiers mois de 2012, nous avons interpellé 475 personnes originaires du Maghreb. Ce sont principalement des hommes âgés de 20 à 30 ans. Dans le classement des délits, les infractions à la loi sur les étrangers se trouvent en première position: ils sont dans une situation irrégulière. Ensuite viennent les vols, notamment les vols par effraction dans les véhicules, et le trafic de drogue. On observe un glissement vers les cambriolages d’appartements et de commerces. Ce sont des délinquants polyvalents.

Quel est leur impact sur l’évolution de la petite délinquance?

- On a observé une véritable explosion entre 2010 et 2011, notamment pour les vols à l’arraché (+198%), les vols avec effraction dans les véhicules (+68%), les vols à la tire et à l’astuce (+83%). 3382 cas ont été comptés pour ces trois domaines en 2011, soit un accroissement de 1514. En 2012, cette situation s’est encore accentuée. On peut attribuer une très grande partie de cette petite délinquance aux Maghrébins.

Entrent-ils en concurrence avec d’autres groupes ethniques?

- A Lausanne, nous avions réussi à juguler le rôle des Albanais dans le trafic d’héroïne. Ce marché a été repris par les Maghrébins. Ils achètent le produit aux Albanais de Genève et le coupent avant de le revendre. Sur le front de la cocaïne, on peut parler d’une sorte d’accord tacite avec les Africains de l’Ouest. Mais on voit apparaître des tensions, par exemple dans le secteur de Bel-Air, qui nous inquiètent car elles se durcissent. Elles sont dues à la concurrence sur le produit ou à l’occupation du territoire.

Ces délinquants peuvent-ils se montrer violents?

- Si on parle des vols de collier commis sur des passantes, forcément, c’est un acte violent, puisqu’il faut soit trancher l’objet, soit l’arracher, ce qui peut provoquer des blessures. Mais, d’une manière générale, il serait incorrect de considérer que les Maghrébins sont plus agressifs que les autres délinquants. On observe actuellement une dérive. Certains ne se contentent plus de vendre des stupéfiants. Ils exercent une contrainte sur des toxicomanes qui, en échange d’une dose, doivent eux-mêmes vendre de la drogue puis leur remettre la recette.

Les aides au retour, comme le «plan Maghreb» genevois doté de 4000 fr., sont-elles efficaces?

- D’une manière générale, ce type d’aide pose un problème. Elle s’adresse à des gens en partie venus en Suisse pour gagner de l’argent de manière délictueuse. Et on leur propose de rentrer volontairement. Vous imaginez l’impact que cela peut avoir. Une telle aide au retour revient à contrarier leurs plans.

La police intervient au nord de la place de la Riponne, les délinquants se déplacent au sud. Après une interpellation, la libération suit rapidement. Votre travail est-il utile?

- Un cas est un cas, un lésé est un lésé. Si on peut retrouver l’auteur d’un délit, c’est notre mission. S’il s’agit d’une goutte d’eau dans un océan, j’en prends acte, mais, face au lésé concerné, je suis satisfait. Le tsunami de 2004 en Asie a provoqué la mort de 230 000 personnes. Quand je suis parti là-bas pour participer à l’identification des corps, je savais que nous n’identifierions peut-être que 5% des victimes. Mais si on se met à la place de quelqu’un dont on vient d’identifier un proche, notre action prend une autre dimension.

Une situation inextricable
Karim se trouve en Suisse depuis un an. Dans sa vie antérieure, cet homme de 35 ans vivait chichement de la pêche dans le sud de la Tunisie, à Kerkena. Il a traversé la Méditerranée sur un bateau chargé de 16 compatriotes qui a failli chavirer à cause d’une tempête. Karim a débarqué à Lampedusa, l’île italienne aux premières loges de l’immigration venue d’Afrique. «J’ai ensuite passé six mois en Italie dans un centre. Puis ils m’ont libéré et je suis venu en Suisse par Chiasso. J’ai demandé l’asile à deux reprises, ça a été refusé et j’ai été refoulé en Italie. Je suis revenu en Suisse où je vis maintenant dans la clandestinité», raconte-t-il. 

Comment vit Karim? «Je me débrouille. On est obligés de faire des conneries pour s’en sortir.» Il admet avoir fait du trafic de marijuana. Et aussi avoir pratiqué le vol à l’étalage quand il n’avait pas de quoi s’acheter des produits de toilette. «Mais c’est fini, tout ça», affirme-t-il. L’avenir? «Pour le moment, je ne sais pas», répond-il. Et l’aide au retour? La Confédération a mis sur pied un programme destiné aux Tunisiens, applicable du 15 juillet 2012 au 30 juin 2013. Karim s’est renseigné. Mais, assure-t-il, l’appui est insuffisant: «J’ai demandé 10 000 fr. pour que je puisse acheter une barque. On m’a parlé de 4000 fr. Mais avec cette somme, il n’est pas possible de lancer un projet et vivre correctement. Le niveau de vie est plus élevé. Après la révolution, les prix des matières premières de base ont flambé.» 

Dans le canton de Vaud, personne n’a encore bénéficié de ce programme. Aux côtés de Karim, Fathi Othmani, membre du bureau exécutif de la Communauté tunisienne en Suisse, tente d’apporter son aide et sert d’interprète. Installé depuis de nombreuses années dans notre pays, enseignant à Lausanne, il fait un constat désabusé: «Je comprends les habitants agacés par cette petite délinquance. C’est une situation absurde, qu’il faudrait résoudre au niveau européen. Ces jeunes Tunisiens sont sans solution. Et toute la communauté tunisienne, même ceux qui sont intégrés depuis des années, est stigmatisée». (24 heures)

Créé: 19.09.2012, 07h10 par Philippe Maspoli

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jeudi 10 mai 2018

Entretien avec Mondher Kilani


Propos recueillis par A. M.-K.
Publié vendredi 19 décembre 2014 à 22:07.


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«La chance de la Tunisie, c’est son histoire»


Mondher Kilani est anthropologue et professeur honoraire à l’Université de Lausanne. Il a publié cet automne «Tunisie, carnets d’une révolution»*. D’après lui, la Tunisie a bénéficié dans sa transition d’un avantage exceptionnel, celui d’avoir de tout temps existé en tant qu’unité politique pertinente


Le Temps: La nouvelle Constitution a réduit les prérogatives présidentielles. Cette campagne a pourtant cristallisé les passions.
 
Mondher Kilani: Les Tunisiens sont un peu empruntés dans cette élection, car ils n’ont pas envie de revivre la figure de l’homme fort ou du sauveur qui a prévalu pendant des décennies. Or l’un et l’autre des candidats jouent de cette figure. Béji Caïd Essebsi se présente comme celui qui va remettre le pays sur des rails et Moncef Marzouki comme celui qui va sauver la révolution. Ils apparaissent tous deux comme des personnalités de circonstance. Le deuxième tour a été source de crispation car chacun a peur que le candidat de l’autre passe. D’autant plus que les autres partis n’ont pas choisi. Ennahda n’a ainsi donné aucune consigne claire à ses partisans. Cela montre que la société tunisienne est plus complexe que l’idée qu’on s’en fait.
 
– Ces derniers mois, elle est surtout apparue tiraillée entre les islamistes et les modernistes. Cette bipolarité a-t-elle émergé dans la révolution ou a-t-elle toujours existé?
 
– On a tendance à simplifier, en imaginant deux forces opposées. Cette dichotomie s’inscrit dans la suite de la dictature de Ben Ali, à laquelle on donnait une sorte de respectabilité démocratique parce qu’elle aurait été le rempart contre l’islamisme. Mais, si on prend le temps de réfléchir, cette opposition n’est pas si radicale: le parti islamiste Ennahda et Nidaa Tounes sont tous deux favorables au libéralisme économique. Sur le plan extérieur, ils endossent des positions pro-occidentales. Ils pourraient s’entendre, et d’ailleurs ils ont esquissé la possibilité de travailler ensemble. Ils sont parvenus à un accord à l’Assemblée nationale en nommant un président issu de Nidaa Tounes et un vice-président d’Ennahda. En Tunisie, les arrangements sont possibles sur la scène politique. Le pays ne fonctionne pas sur l’exclusion a priori de l’autre, c’est sans doute ce qui l’a sauvé institutionnellement.

– Où se situent alors les zones de fractures?
 
– Elles se retrouvent dans les référentiels historiques. Les modernistes se réfèrent plutôt à l’imaginaire nationaliste fondé par Bourguiba dans la suite du courant moderniste apparu au XIXe siècle. Ils insistent sur une forme de «tunisianité», empruntent au courant intellectuel et aux figures syndicales. Le référentiel des islamistes est religieux. Ils sont plus internationalistes, puisqu’ils vont puiser des références à l’étranger. Mais ces islamistes ne sont pas une génération spontanée. Ils sont Tunisiens avant tout. Ce n’est que parce qu’ils n’avaient jamais eu la possibilité de s’exprimer librement qu’on a tout d’un coup découvert leur existence.

– La Tunisie est en train d’achever sa transition là ou d’autres pays ont échoué. Quel est son atout maître?
 
– La force de la société tunisienne est qu’à chaque crise depuis la révolution, la multitude a su se reconstituer, en dehors des partis et des clivages. C’est une dynamique très forte qui s’inscrit dans un passé. La Tunisie a bénéficié d’une situation exceptionnelle: c’est un pays qui a une certaine profondeur historique. Au temps de Rome et de Byzance, sous toutes les dynasties musulmanes et l’Empire ottoman, la conscience d’appartenir à une entité politique pertinente a toujours existé. Contrairement à la Syrie ou à l’Irak, qui sont des créations des puissances coloniales après 1920, ou à la Libye, qui n’a jamais été qu’un patchwork.

– La révolution tunisienne a d’abord été celle des jeunes. Or, ils n’ont pas pris la relève sur le plan politique. Comment l’expliquer?
 
– Ils sont largement majoritaires sur le plan démographique et ce sont eux qui ont été à l’origine de la constitution de la multitude: les jeunes, les chômeurs, les pauvres, rejoints par les classes moyennes. Tous ont convergé vers un même but: recouvrer une dignité. Dans le bouillonnement du début, on pensait que les jeunes parviendraient à occuper tous les espaces dans une sorte de démocratie participative. Mais les portes leur sont restées fermées, car assez rapidement le jeu institutionnel a repris le dessus. L’obsession de la transition s’est imposée, il fallait retrouver vite des institutions, ce qui a balayé les autres préoccupations de type révolutionnaire. Les jeunes n’ont pas disparu, les plus chanceux se sont investis dans la création, dans l’art. Mais pour les autres, c’est le désenchantement, et ce n’est pas pour rien que le mouvement migratoire a flambé. Les problèmes de fond n’ont pas été réglés. 
 
* Tunisie, carnets d’une révolution, Editions Petra, 2014, Paris.



Publié vendredi 9 mai 2014 par Em. G.

Bio/Biblio

Mondher Kilani

Les principaux livres du professeur d’anthropologie à l’Université de Lausanne

Mondher Kilani

Mondher Kilani est né en Tunisie et y a grandi jusqu’à l’âge de 19 ans, avant de séjourner en France puis de s’établir en Suisse. Il a été professeur à la Faculté des sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne jusqu’en 2013. Il est notamment l’auteur d’une fameuse Introduction à l’anthropologie (Lausanne, Payot, 368 p.) pour les étudiants.

Voici ses principaux autres titres:

Anthropologie. Du local au global, Armand Colin, 2009

Guerre et Sacrifice. La violence extrême, P.U.F., 2006

L’Universalisme américain et les Banlieues de l’humanité, Lausanne, Payot, 2002

L’Invention de l’Autre. Essais sur le discours anthropologique, Lausanne, Payot, 2000

La Construction de la mémoire, Labor & Fides, 1992

Les Cultes du cargo mélanésiens. Mythe et rationalité en anthropologie, Editions d’en bas, 1983

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lundi 7 mai 2018

Entretien avec Omar Ben Hamida


 «Sans compromis, pas d’intégration»



Par Abdelhafidh Abdeleli, le 30 mars 2017

Immigration


En Suisse, les immigrés viennent régulièrement en tête des préoccupations des responsables politiques, des citoyens et des médias. Lesquels en donnent une image souvent négative, sans trop s’arrêter aux causes, ni au contexte historique. L’éclairage d’un écrivain et médiateur d’origine tunisienne, établi ici depuis près d’un demi-siècle.

Né en Tunisie en 1958, Omar Ben Hamida est arrivé en Suisse à l’âge de 12 ans. Formé au commerce et à l’informatique, il a travaillé chez IBM, à la banque UBS et chez l’assureur Swiss Re avant de se lancer en solo comme écrivain, éditeur et médiateur culturel. Naturalisé et marié à une Suissesse, qui anime avec lui les éditions et une fondation au profit de l’éducation en Tunisie, il est père de deux enfants.

swissinfo.ch: Comment évaluez-vous le traitement que la Suisse et de l’Europe, en général, réservent aux immigrés et aux demandeurs d’asile depuis quelques années?

Omar Ben Hamida: La Suisse et l’Europe, en général, ont très bien agi vis-à-vis des immigrés, en particulier ceux en provenance du monde arabe et musulman. Elles leur ont offert ce qu’ils ne pouvaient même pas avoir dans des pays musulmans riches. En effet, le Royaume d’Arabie Saoudite par exemple n’a apparemment accueilli sur son territoire aucun réfugié yéménite, ni syrien, ni irakien. Si on considère sa position, sa superficie et le nombre de ses habitants, on peut affirmer que la Suisse a davantage honoré son devoir humanitaire. Surtout si l’on se souvient que plus de 20% de ses habitants sont des étrangers.

swissinfo.ch:Il y a quelques mois, une partie des politiques suisses a appelé à la fermeture des frontières face à l’afflux des réfugiés. Cela trahit-il une rupture dans la tradition d’accueil que vous évoquez?

O.B.H.: C’est que de nombreuses données ont changé. Tout d’abord, les étrangers venus en Suisse dans les années cinquante et soixante étaient tous d’origine européenne et de confession chrétienne. Et déjà pendant cette période, lorsque le nombre d’Allemands, d’Italiens ou de Portugais devenait important, les Suisses réagissaient.

Mais par la suite, avec les immigrés arabes, turcs et albanais au début des années huitante et nonante, est arrivée une nouvelle religion sur le territoire suisse: l’Islam, avec des traditions et des cultures nouvelles. Le regard des Suisses sur l’étranger a changé. Puis le climat mondial, la multiplication des conflits armés, de la violence et du terrorisme ont aggravé une certaine perception négative.

Or cette image est fausse. Si les étrangers quittent la Suisse, les rouages de la vie s’arrêtent. Qui a construit les villes et qui les nettoie? Qui a bâti les routes, les tunnels et les ponts? Les étrangers, bien sûr. Ce pays ne peut en aucun cas assurer le fonctionnement de son système et garantir la préservation de son bien-être, ni maintenant, ni plus tard, sans les ingénieurs informaticiens indiens par exemple. Les hauts dirigeants des banques et des entreprises viennent d’Allemagne, des États-Unis, et d’ailleurs. Si les infirmiers et les médecins venus du Moyen-Orient et d’Asie quittaient le pays, le secteur de la santé serait fortement perturbé. La population suisse oublie parfois cette réalité. Les médias, au lieu de la présenter, montrent uniquement les problèmes et les aspects négatifs.

Arrivé enfant dans un village d'Appenzell Rhodes-Extérieures, Omar Ben Hamida vit et travaille aujourd'hui à Zurich.
(zvg)

swissinfo.ch: On dit souvent que les étrangers ne font pas assez d’efforts pour s’intégrer dans leur nouvel environnement. Le problème de l’intégration s’est-il posé, à l’époque, aux immigrés italiens, tel qu’il se pose actuellement aux Albanais, aux Arabes et aux Turcs?

O.B.H.: En réalité, il n’y a pas de grand changement à ce sujet. Dans les années soixante et septante, je me souviens personnellement, comment les Italiens vivaient dans des ghettos, travaillaient du matin jusque tard dans la nuit, rentraient le soir dans leurs foyers ou se fréquentaient entre eux. J’ai des amis italiens qui vivent à Zurich depuis plus de cinquante ans et qui ne parlent toujours pas allemand.

L’intégration pour moi commence par la langue, c’est le premier outil de compréhension de ce qui se passe autour de nous. Ensuite, l’intégration est un processus complexe. Au début, l’État suisse lui-même ne l’encourageait pas. Mais, la situation a totalement changé. Aujourd’hui, nous avons dans chaque canton et dans chaque ville un bureau gouvernemental chargé d’aider les étrangers à participer à la vie publique, en plus des diverses opportunités offertes pour l’apprentissage des langues nationales.

Il faut aussi voir qu’à l’époque, l’idée des immigrés italiens, portugais ou français, était «je travaille cinq ans, je me construis une maison dans mon pays et je quitte la Suisse». C’est exactement ce qu’il s’est passé avec les Magrébins en France après la Deuxième Guerre mondiale. Donc, ces immigrés n’avaient pas envie d’apprendre les langues du pays de résidence, ni de comprendre les spécificités de la société suisse. Toutefois, après les premières années, dès que l’on a des enfants qui vont à l’école, cette illusion du retour se dissipe. Les Italiens sont restés en Suisse jusqu’à la retraite, et même au-delà, aussi parce que la réalité en Italie avait changé. 

Qui sont les 2 millions d'étrangers en Suisse?

Ce graphique montre le continent (anneau intérieur) et la nationalité (anneau extérieur) d'origine des 2 millions d'étrangers en Suisse en 2016.    
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swissinfo.ch:Quelle est alors la véritable signification de l’intégration?

O.B.H.: C’est une forme de vie entre deux mondes. Votre monde premier, d’origine, que vous ne pouvez en aucun cas oublier, et le nouveau monde. L’intégration dans ce dernier signifie que vous devez respecter ses traditions, vous conformer à ses lois et parler sa langue. Le succès du processus passe par l’établissement d’une harmonie entre votre culture d’origine et celle de votre nouveau pays.
Dans la réalité, la Suisse n’empêche pas l’étranger de préserver ses traditions et tolère la pratique de ses convictions religieuses. Par exemple, dans les années soixante, il n’y avait que trois mosquées dans le pays, contre des centaines actuellement. La loi suisse permet également la création d’associations civiles et religieuses. Dans les années septante, il n’était guère possible de trouver des magasins d’alimentation arabe, ni halal, tandis qu’aujourd’hui, on en trouve dans pratiquement toutes les villes. L’État suisse a autorisé les étrangers à créer une copie de leur monde d’origine.

swissinfo.ch: On a vu récemment pas mal de conflits autour des signes religieux, du foulard, des cours de natation ou des salutations à l’école. Si les musulmans ne comprennent pas que ce qui leur paraît normal est perçu ici comme illégitime, n’est est-ce pas simplement par méconnaissance de l’histoire locale?

O.B.H.: Effectivement, c’est la source des problèmes. Quelle est la place de la religion dans la société? Cette question s’est posée à la Suisse il y a 150 ans. Lorsque vous prenez part à une discussion qui a commencé depuis 5 minutes, il vous est déjà difficile de rattraper ce que vous avez raté. Alors imaginez un retard d’un siècle et demi… Ce que nous n’arrivons pas à comprendre en tant que musulmans, c’est cette séparation entre la religion, vue comme question personnelle, voire familiale, et la loi, qui régit l’ordre public dans les lieux publics. L’Europe n’est parvenue à cette équation équilibrée qu’après de longues guerres, qui ont fait des millions de morts.

Aujourd’hui, la règle, c’est «la religion à l’église et à la maison et la loi dans le domaine public». La plupart des tensions actuelles entre les immigrants musulmans et la société locale trouve là son origine profonde.

Prenez par exemple la pratique de la natation pour les filles dans les écoles. Les musulmans demandent une exemption à cause du refus de la mixité, mais la loi suisse, et la société ayant voulu cette loi, estiment que la natation est une discipline éducative obligatoire. De même, certains musulmans exigent le bannissement du signe de la croix dans les classes, alors qu’ils ne sont pas majoritaires dans cette société.

Ceci soulève une autre problématique: pour la première fois, ces musulmans se retrouvent en minorité, à vivre dans une société à majorité non musulmane. C’est ce qu’ils n’arrivent pas à digérer. Je me demande ce qu’il en serait si un chrétien résidant en Arabie Saoudite avait des revendications similaires à celles des musulmans en Occident. Si cela arrivait, la réaction serait beaucoup plus violente que celle des Suisses.

swissinfo.ch: Quelle serait selon vous l’équation magique pour une intégration réussie?

O.B.H.: C’est un objectif très difficile à réaliser. Chaque individu qui souhaite vivre en Suisse doit conserver une moitié de lui pour ses origines et l’autre moitié, il doit la puiser dans son nouvel environnement. Si l’immigré n’est pas capable de se plier à des compromis, il ne réussira jamais son intégration. Celui qui veut vivre en Suisse comme s’il continuait à vivre dans son pays d’origine doit retourner d’où il vient. Ce serait probablement mieux pour lui et pour ses enfants. 

vendredi 4 mai 2018

L'islam est surexposé dans les médias, déplore Montassar BenMrad

 11.11.2017 par Jacques Berset, cath.ch 

 Montassar BenMrad et Martine Brunschwig Graf, entourant Serge Gumy, rédacteur en chef de La Liberté ¦ © Jacques Berset

Dans le cadre de la Semaine suisse des Religions, le Groupe interreligieux et interculturel de la Gruyère (GIIG) avait invité, vendredi soir 10 novembre, Martine Brunschwig Graf, présidente de la Commission fédérale contre le racisme (CFR), et Montassar BenMrad, président de la Fédération d’organisations islamiques de Suisse (FOIS) et vice-président du Conseil suisse des Religions (SCR).

Depuis l’attentat sanglant du 7 janvier 2015 contre l’hebdomadaire satirique “Charlie Hebdo” et les nombreuses attaques djihadistes dans les rues de Paris, Nice, Londres, Berlin, Barcelone ou Bruxelles, l’image des musulmans d’Europe s’est fortement dégradée. Prônant le dialogue et l’interconnaissance, le GIIG  estime que la peur de l’autre provient essentiellement de l’ignorance et du manque de connaissance mutuelle. Des études montrent aussi que, par rapport à d’autres religions, l’islam est surexposé dans les médias.

“Construire le vivre ensemble, dans la diversité des croyances”
Une bonne soixantaine de personnes, venues de tout le canton, mais aussi de plus loin, s’étaient donné rendez-vous aux Halles de Bulle pour échanger avec les deux invités sur le thème “Diversités des croyances: construire le vivre ensemble”.  Au cours d’un débat de très bonne tenue, arbitré par Serge Gumy, rédacteur en chef du quotidien La Liberté, quelques remarques ont fusé des rangs du public, montrant qu’en matière de présence musulmane dans le pays, le climat reste tendu.

Martine Brunschwig Graf, présidente de la Commission fédérale contre le racisme (CFR) ¦ © Jacques Berset

En Suisse, on compte dix religions principales et 190 nationalités vivent sur son territoire. Le pays vit ensemble avec toute cette diversité, même si un sondage a montré que plus d’un tiers des personnes interrogées déclarent être dérangées par ceux qui sont différents, a relevé la présidente de la CFR. A l’époque des initiatives xénophobes des années 1970 – les fameuses initiatives Schwarzenbach – qui vont exacerber les tensions face aux étrangers – c’étaient les travailleurs italiens qui étaient visés. “Il y avait déjà des discours de haine, des gens engagés contre ces initiatives ont reçu des menaces de mort…”

Les musulmans dans le collimateur

Aujourd’hui, outre les gens du voyage, les Roms, les Yéniches, sans parler des personnes de couleurs, ce sont les musulmans qui sont dans le collimateur. Le rejet de l’islam est en forte augmentation. Selon un sondage paru fin août dans la presse alémanique, quelque 38% des Suisses disent se sentir menacés par les musulmans de Suisse. La peur de l’islam a plus que doublé au cours des treize dernières années.
“Le lien entre musulmans et terrorisme est omniprésent sur les réseaux sociaux, sur Facebook, les blogs des journaux”, déplore Martine Brunschwig Graf, membre du Parti libéral-radical, ancienne conseillère nationale et conseillère d’Etat genevoise, par ailleurs présidente de la Fondation pour l’enseignement du judaïsme à l’Université de Lausanne.

Montassar BenMrad, président de la Fédération d’organisations islamiques de Suisse (FOIS) ¦ © Jacques Berset

“C’est la Suisse qui accueille le mieux les musulmans”

Engagé depuis plus de deux décennies dans le travail associatif et dans le dialogue interreligieux – il a été cofondateur de la Maison du dialogue de l’Arzillier, à Lausanne en 1998, et du Groupe musulmans et chrétiens pour le dialogue et l’amitié en 2001- le Vaudois Montassar BenMrad est à la tête de près de 200 associations musulmanes dans les quatre régions linguistiques de la Suisse.
S’il admet que l’on vit une période de tension en ce qui concerne la présence musulmane, il affirme, en comparaison notamment avec la France, que “c’est la Suisse qui accueille le mieux les musulmans, on favorise l’intégration…”

La situation s’est dégradée entre 2009 et 2017

Citant une étude de l’Université de Zurich sur des articles parus dans les médias, l’expert en informatique d’origine tunisienne, haut cadre dans une multinationale, affirme que la situation s’est beaucoup dégradée entre 2009 et 2017. “La plupart des articles montrent désormais de la distance par rapport aux musulmans, et ceux qui marquent de l’empathie ont fortement diminué”, regrette le scientifique, qui a obtenu son doctorat à l’EPFL en 1994.
Et de déplorer, en citant l’UDC et le PDC, que des partis politiques utilisent la question de l’islam et des musulmans à des fins purement politiques. Il estime “dommageable” que le PDC marche désormais sur les plates-bandes de la formation nationaliste conservatrice. Gerhard Pfister, président du PDC, s’est en effet récemment déclaré dans la presse fermement opposé à une reconnaissance de l’islam. Le président de la FOIS souligne cependant que cette attitude négative envers l’islam se rencontre avant tout dans le PDC de Suisse alémanique.

Les mantras de l’UDC

Quant à l’UDC, lors de son assemblée des délégués du 28 octobre dernier à Frauenfeld (TG), elle a une nouvelle fois déclaré qu'”une reconnaissance de droit public de l’islam ou une formation étatisée d’imams est hors de question”, arguant que “nous devons vivre selon nos valeurs chrétiennes”.
Ainsi, peut-on lire pêle-mêle sur le site internet du premier parti de Suisse: “L’activité pastorale des imams dans les prisons et à l’armée doit cesser […] Les imams peuvent être remplacés par des psychologues de l’armée ou des prisons […] Jusqu’à nouvel avis, les activités des imams doivent être surveillées dans toute la Suisse […] La viande halal, la dissimulation du visage etc. ne doivent pas être tolérées dans les lieux publics comme les écoles, les prisons, les hôpitaux ou dans l’armée”.
Serge Gumy, rédacteur en chef de La Liberté, face à Martine Brunschwig Graf, présidente de la Commission fédérale contre le racisme (CFR) ¦ © Jacques Berset

Primauté de l’Etat de droit et de la législation commune

Se déclarant, comme tout citoyen suisse, ferme partisan de l’Etat de droit et du respect de la législation de son pays, Montassar BenMrad se dit que lui et la FOIS sont tout autant intéressés à traiter les risques de dérives islamiques. Il partage la position de Martine Brunschwig Graf, pour qui l’Etat de droit et la loi commune en Suisse priment en tous les cas sur les préceptes de la loi religieuse, ajoutant que “les gens qui sont ici peuvent exercer leur religion en toute liberté, pour autant qu’ils respectent les règles de l’Etat de droit”. La politicienne genevoise, née à Fribourg, a rappelé par ailleurs que, dans le passé, les Eglises chrétiennes ont aussi connu des dérives.
Le représentant musulman se déclare en faveur de la reconnaissance de sa communauté au niveau cantonal – il y a des démarches dans ce sens, notamment dans les cantons de Vaud et Neuchâtel -, considérant que le processus de reconnaissance forcera les communautés musulmanes à se structurer. “Elles devront faire des efforts pour se fédérer. Il y aura plus de transparence, les livres de comptes seront ouverts…”

Le Centre Suisse Islam et Société

S’il salue le travail fourni par le Centre Suisse Islam et Société (CSIS) de l’Université de Fribourg, il rappelle que cette formation universitaire n’est pas un enseignement théologique. Ce sont les communautés locales qui sont responsables d’engager un imam. Dans le cas de l’imam radicalisé de la mosquée An’Nur de Winterthur, “il y a eu un gros dérapage, l’imam n’était pas formé, il était incompétent”. Le président de la FOIS souligne qu’en principe les imams ont suivi une formation universitaire, “mais de toute façon, il doit y avoir un contrôle de qualité des imams”.
Le président de la FOIS concède que beaucoup trop d’entre eux sont autodidactes, sans diplôme, et certains alimentent leur prêche avec les réseaux sociaux, où l’on trouve d’innombrables fausses informations sur l’islam. “Quand les communautés ont la capacité financière de payer le salaire d’un imam, un professionnel formé, il y a davantage de filtres!”

Haro sur Blancho

Interrogé sur l’image négative de l’islam propagé par le Conseil central islamique suisse (CCIS), d’obédience salafiste, Montassar BenMrad estime que ce groupe ne compte que 42 membres actifs, avec, peut-être, tout au plus 2 à 3’000 sympathisants,  soit  moins de  1% des musulmans de Suisse. Tout comme sur l’autre bord Saïda Keller-Messalhi, fondatrice et présidente du Forum pour un islam progressiste, “ils ne représentent qu’eux-mêmes!” Par contre, le CCIS a fait “pas mal de dégâts” à l’image des musulmans de Suisse, “mais on fait en sorte qu’ils n’aient aucun accès à nos mosquées”. De toute façon, lance-t-il en guise de conclusion: “Depuis qu’ils ont des problèmes avec le Ministère public de la Confédération, ils se sont calmés…” Quant à lui, il veut faire entendre “la voix du milieu, celle de la modération”. (cath.ch/be)

Martine Brunschwig Graf visée par Vigilance Islam

Peu avant le début des débats, la police s’est brièvement montrée aux Halles. La raison: les menaces – “proches de menaces de mort” – reçues par Martine Brunschwig Graf dans le cadre du colloque à l’Université de Fribourg “Hostilité envers les musulmans: société, médias, politique”, le 11 septembre 2017. Ce débat scientifique était organisé par la CFR, en partenariat avec le Centre Suisse Islam et Société de l’Université de Fribourg (CSIS) et le Centre de recherche sur les religions de l’Université de Lucerne (ZRF). La présidente de la CFR avait été prise pour cible par un membre de l’association genevoise Vigilance Islam et a porté plainte.

Le Groupe interreligieux et interculturel de la Gruyère

Pour le Groupe interreligieux et interculturel de la Gruyère (GIIG), la simple coexistence entre les diverses communautés vivant en Suisse n’est pas suffisante. “Dans un monde globalisé, avec le brassage grandissant de la population et des cultures différentes, écrit-elle, la nécessité de vivre ensemble est devenue vitale. Le monde a besoin d’unité dans l’action des croyants: les valeurs universelles communes aux différentes croyances ont le pouvoir de nourrir une société qui se laïcise et s’individualise de plus en plus. Les croyants ont une responsabilité spirituelle, morale et citoyenne d’ouverture vers l’autre: ils doivent témoigner ensemble, sans condition ni angélisme, de l’unité intrinsèque de la famille humaine, en dignité et en droit. Par le dialogue et les comportements, nous pouvons contribuer à la paix. Nos différences sont source d’enrichissement pour œuvrer ensemble!” JB

jeudi 3 mai 2018

Deux Biennoises sont parties rejoindre Daech

 Article de Pascal Schmuck Zurich

Suisse 

 La mosquée Ar'Rahman à Bienne refait parler d'elle. Image: Keystone

Deux femmes de 23 et 35 ans qui fréquentaient la mosquée Ar'Rahman de Bienne se sont engagées pour le djihad.

 Deux femmes de la région de Bienne sont parties en Syrie en août 2014 pour rejoindre l'état islamique (dont l’acronyme en langue arabe est Daech). Elles fréquentaient la mosquée Ar'Rahman, dont un des imams tenait des prêches haineux, et elles étaient proches de membres du Conseil central islamique suisse (CCIS), comme l'a découvert l'émission 10vor10 de la télévision alémanique SRF.

L'une d'elles est issue d'une famille d'origine tunisienne habitant à Nidau, où réside également l'imam libyen Abu Ramadan qui appelait à la violence contre des non-musulmans. Elle avait obtenu la nationalité suisse en 2011 mais elle trouvait la mosquée de Bienne pas assez radicale, comme l'avait raconté l'imam dans les colonnes du Tages-Anzeiger.

Après la fin de sa scolarité à La Neuveville, elle a rencontré à plusieurs reprises à Berne Ferah Ulucay, l'actuelle secrétaire générale du CCIS. Cette dernière affirme avoir tenté de détourner la jeune femme de 23 ans de son attirance pour l'état islamique en utilisant des arguments du Coran. La jeune Tunisienne affichait le logo du groupe terroriste sur son téléphone portable, ajoute 10vor10.

Elles seraient à Raqa

Quant à l'autre femme, il s'agit d'une convertie de 35 ans, qui était l'amie de Ferah Ulucay et une membre active du CCIS. La secrétaire générale a démenti que son organisation avait radicalisé la femme de 35 ans, mettant plutôt en cause la propagande de l'état islamique. Elle ignorait tout de ses intentions et de sa volonté de se rendre en Syrie.

Le Ministère public de la Confédération a confirmé qu'il avait ouvert une procédure contre les deux personnes pour infraction à la loi interdisant la participation ou le soutien à des groupes criminels comme Daech ou Al-Qaïda. 

Les deux femmes se trouvent toujours à l'étranger, leur trace s'arrête à Raqa, la capitale de l'état islamique actuellement assiégée par une coalition composée de forces arabes et kurdes. (nxp)

Créé: 06.09.2017, 10h37

mardi 1 mai 2018

Le porte-voix genevois des révoltés tunisiens

 Publié le 23 janvier 2011 par Angélique Mounier-Kuhn

Contraint à quitter son pays en 1991, Anouar Gharbi foulera de nouveau la terre de ses ancêtres le 29 janvier. L’activiste s’est révélé incontournable pour suivre la révolution du jasmin, depuis la Suisse. Depuis quelques semaines, il ne touche plus terre

Il passe un coup de fil contrit, pour prévenir: impossible de se garer dans les environs de Plainpalais. Avec une bonne vingtaine de minutes de retard, Anouar Gharbi finit par arriver, l’oreillette branchée et absorbé par une conversation téléphonique en arabe. Il tend une poigne ferme, s’assied, tout en abreuvant son interlocuteur de «chouf, chouf». Il raccroche et prend la précaution d’éteindre son portable. Nous pouvons enfin faire connaissance.

Anour Gharbi, coordinateur du Comité de soutien du peuple tunisien (CSPT-Suisse) ne touche plus terre depuis que l’Histoire a pris un tour inattendu dans son pays d’origine. Radio, télévision, manifestations, il est sur tous les fronts. Sa disponibilité et son empressement à partager à toute heure ses informations de première main en ont fait le relais incontournable pour suivre, depuis la Suisse, les événements de Tunisie. «Cela fait trois semaines, je ne dors pas plus de deux ou trois heures par jour. Il m’arrive de passer des journées sans manger, sans même me rendre compte que j’ai faim.»

Cela tombe bien. C’est précisément pour le mettre à table que nous avons souhaité le rencontrer. Il a choisi l’endroit, Les Savoises, le restaurant-café «équitable» de la Maison des associations, à Genève, qu’il contribua à fonder il y a quelques années. En dépit de ses murs orange tapageur et jaune vif, l’endroit est accueillant, tout comme la serveuse, aimable et enjouée, qui régente toute seule la salle heureusement clairsemée. Dans la cuisine ouverte, le maître des lieux vaque à la préparation des plats. Anouar Gharbi se sustentera d’une salade mêlée au chèvre chaud. Nous misons sur un pot-au-feu. Pour les accompagner, un jus de pomme et une eau gazeuse.

Il y a tout juste un mois et un jour, Mohamed Bouazizi, jeune vendeur ambulant, s’est transformé en torche vivante à Sidi Bouzid, une localité agricole du cœur de la Tunisie. Depuis ce geste sacrificiel, l’actualité du pays, où Anouar Gharbi naquit en 1964 dans la région côtière de Chebba, s’est emballée, jusqu’à la chute rocambolesque, le 14 janvier, de son autocrate de président, Zine el-Abidine Ben Ali. Demander à Anouar Gharbi comment il a vécu l’effondrement du régime, c’est s’embarquer pour un périple liant constamment passé, présent et avenir.

Ces heures épiques lui rappellent, par leur intensité, ses souvenirs de militant syndicaliste, diplômé en agronomie, contraint à l’exil. C’était en 1991: «Un jour, on m’appelle pour me dire qu’une dizaine de policiers sont partis chercher celle qui allait devenir mon épouse (elle est Suisse par sa mère et alors professeur d’anglais) parce qu’ils me cherchent moi, sans parvenir à me trouver.» Quelques semaines auparavant, un autre coup de fil l’avait informé que son nom figurait dans le journal, au beau milieu d’une liste de personnes recherchées, islamistes pour la plupart. Annouar Gharbi se raconte dans le moindre détail. Il en néglige son assiette et oublie parfois de finir ses phrases. Dans la nôtre, le pot-au-feu, parfumé mais un peu filandreux, tiédit.

«J’ai été considéré comme le responsable des relations extérieures d’Ennahda (ndlr: le parti islamiste interdit dont les membres ont été traqués, torturés et qui demande aujourd’hui sa légalisation) parce qu’en 1990, je me suis rendu en Algérie, au Maroc et en Europe de l’Est pour négocier l’inscription dans les universités d’étudiants tunisiens qui n’avaient pas pu achever leurs études en raison de leur engagement. Oui, beaucoup d’entre eux étaient des islamistes», enchaîne le militant. En dépit du soupçon récurrent que lui a valu par le passé sa proximité avec Ennadha et certaines fréquentations plus récentes, Anouar Gharbi se défend de penchants islamistes. Sa barbe? Un bouc stylé, poivre et sel et taillé de frais. Son rapport à l’Islam? Parfaitement assumé: «Je me sens très bien avec Dieu. Je suis croyant, pratiquant, mais je suis un «musulman light». Je travaille trop pour faire me prières à temps. Il m’arrive, en voyage, de ne pas observer le ramadan». Le cœur à gauche alors, Anouar Gharbi? «Cela n’a rien strictement rien à voir. Je me sens proche des opprimés, et j’ai de la sympathie pour tout ce qui est résistance.»

Etonnant caméléon, cet hyperactif à l’œil sémillant, père de quatre enfants, menant carrière dans une entreprise internationale tout en militant, dit-il, au sein d’une quinzaine d’associations. Droit pour tous est l’une d’entre elles, qu’il préside et participa activement à l’organisation de la «Flottille de la liberté» pour Gaza au printemps dernier. Autre fait d’arme, dont Anouar Gharbi est fier d’évoquer le souvenir: cette visite express de Ben Ali à Genève, en 1995, qui s’acheva par une brouille diplomatique entre Tunis et Berne. Invité d’honneur de la Conférence internationale du travail, le président tunisien avait été copieusement sifflé par des manifestants, dont l’activiste était le coordinateur. Furieux, Ben Ali avait rappelé son ambassadeur à Berne.

Entre deux fourchetées faméliques, Anouar Gharbi relate les deux mois de clandestinité qui ont précédé son départ de Tunisie il y a vingt ans. Deux décennies pendant lesquelles il n’a jamais remis les pieds au pays, dont il connaît pourtant les contours par cœur. Dès le début du repas, il s’est appliqué à dessiner la Tunisie sur un brouillon pour que l’on suive pas à pas ses pérégrinations. Rentrer était trop risqué. Sauf à sacrifier sa liberté d’expression, ce à quoi il s’est toujours refusé. D’ailleurs, son passeport était en souffrance depuis 1998 à l’ambassade de Tunisie à Berne, où il avait été déposé pour une demande de renouvellement. De l’autre côté de la Méditerranée, ses parents ont à peine été mieux traités. Il leur a fallu des années pour obtenir un passeport; et ils ne lui ont rendu que deux visites à Genève. «Tu as tout ici. Merci à Dieu, lui lâche un jour sa mère dans le jardin de sa maison de Grand-Saconnex. Tu ne manques de rien, mais toi, tu nous manques.» Le déracinement, assure pourtant Anouar Gharbi, n’a pas été une si douloureuse expérience: «Bien sûr, lorsque l’on m’envoie des séquences vidéo de mon village, de mon école, ma gorge se serre. Mais d’un autre côté, je ne voulais pas donner à Ben Ali le crédit de ma présence.»

L’heure a tourné: trop tard pour le dessert, un expresso achèvera le repas. Anouar Gharbi foulera à nouveau la terre de ses ancêtres le 29 janvier, accompagné d’une délégation de parlementaires et de militants des droits de l’homme en Suisse. S’il ne laisse pas encore libre cours à sa joie, «c’est parce le pays est tout entier à construire. Comment participer à ma manière? C’est la question qui me préoccupe aujourd’hui». Le militant se voit en «facilitateur», en tisseur de liens. Aussi, s’il s’engage en politique, «ce sera au sein d’une coalition et non dans un parti». Imagine-t-il se réinstaller dans la Tunisie affranchie de son despote? Il n’hésite pas; sa vie est ancrée à Genève. «Je suis devenu citoyen suisse. Jamais, en vingt ans d’engagements, je n’ai été l’objet de racisme. J’y suis profondément attaché.» Il aidera donc les Tunisiens à distance. Pourtant, lorsqu’au moment de se quitter on souligne le courage prodigieux de ces derniers et leur intelligence politique, il remercie, ému, touché par le compliment.